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Critique – Novembre (C. Jimenez, 2022)

S’il est évident que les deux événements diffèrent, par leur ampleur, leur contexte et leur impact géopolitique, la comparaison entre les attentats du 13 novembre 2015 et ceux du 11 septembre 2001 était, au lendemain des attaques parisiennes, absolument inévitable. Sept ans plus tard, il est donc intéressant de constater que le Novembre de Cédric Jimenez s’inspire presque exclusivement d’œuvres de fiction américaines ayant traité d’une représentation moderne du terrorisme et, dans certains cas, des moyens mobilisés pour le combattre.

Déviation

Dans le médiocre World Trade Center, le réalisateur Oliver Stone choisissait d’adopter le point de vue d’une escouade de pompiers new-yorkais, enfouis sous les décombres des tours jumelles. Une structure récurrente dans nombre de films abordant des tragédies réelles, qui consiste à contourner la représentation des aspects les plus choquants de la catastrophe – ici, l’impact des avions et l’effondrement des gratte-ciel – pour plutôt se focaliser sur une part plus restreinte de l’événement – les soldats du feu luttant pour leur survie.

À la manière de Stone, Jimenez choisit donc d’adopter dès le départ le point de vue multiple de la SDAT (Sous-Direction Anti-Terroriste) française, menée par le personnage de Jean Dujardin. En résulte une représentation elliptique et surprenamment brève de l’attentat en lui-même, avant que le film ne s’attarde longuement sur les trois jours suivants – soit la gigantesque traque qui aboutissait, le 18 novembre 2015, à la mort du djihadiste Abdelhamid Abaaoud et de ses complices.

Il faut d’ailleurs reconnaître que Jimenez s’en sort mieux que son prédécesseur américain. Stone s’embourbait en effet dans un académisme ronflant, incapable de lever pleinement le tabou de la reconstitution cinématographique du drame. Ici, l’attentat n’est jamais montré mais sa gravité sans précédent est pourtant rendue palpable par les coups de fil incessants entre les personnages, réunis dans un montage au rythme soutenu. Un enchaînement de plans et d’actions qui confère à cette séquence un relief anxiogène, dans lequel le réalisateur inclut plusieurs archives médiatiques tristement célèbres (le discours de François Hollande, notamment). Ainsi, le film place son audience et ses personnages sur la même ligne émotionnelle : celle d’une impuissance insupportable, conséquence d’une absence d’emprise sur le réel qu’il s’agira par la suite de lentement reconquérir.

Occlusion

Pourtant développée en amont du 11 septembre, la série 24 Heures Chrono a anticipé puis révélé les traumatismes et les transformations profondes de l’Amérique engendrés par les attentats1. Jimenez retient de cet emblème télévisuel son point de vue radical, substituant aux ressorts haletants du thriller policier un véritable enfer bureaucratique. Toujours coincés dans des décors exigus à l’architecture confuse, les personnages apparaissent plus que jamais comme les rouages d’un système, où les différents organes se bousculent sans cesse. La caméra demeure toujours vissée au plus près des acteurs et la densité du flou redouble le sentiment d’enfermement perpétuel induit par le découpage. 

Par ce biais, Novembre rejoue la même partition que la série, en organisant la disparition du peuple (presque toujours absent du cadre) et l’abstraction territoriale. Un sentiment accentué par la rapidité sidérante des trajets, qui voient Dujardin passer en une coupe de la Grèce à la France, puis plus tard de la France au Maghreb, etc. Une confusion humaine, temporelle et spatiale qui préserve le dynamisme du long-métrage mais s’avère toutefois moins intense que dans 24 Heures Chrono.

Aseptisation 

Si les deux références précédentes font plutôt honneur au travail de Jimenez, la troisième et dernière met hélas en lumière son plus cruel manquement. Le français a de toute évidence bien révisé son Zero Dark Thirty, chef-d’œuvre de Kathryn Bigelow centré lui aussi sur une chasse à l’homme, celle d’Oussama Ben Laden. Mais le film de Bigelow tirait sa force de son discours angoissé sur une Amérique en perdition, synthétisé par un dilemme moral épineux – la question de la torture, employée par les services secrets américains à de très nombreuses reprises. Visiblement échaudé par l’accueil critique de BAC Nord et la récupération du film par l’extrême-droite, Jimenez, quant à lui, contourne systématiquement le moindre début de scandale. Ainsi délesté d’un quelconque propos de fond, Novembre se contente de suivre sagement le déroulé factuel de son intrigue. Même la conclusion, qui reconstitue dans le détail l’assaut contre la planque d’Abaaoud à Saint-Denis et le sort dramatique de Sonia, l’indicatrice qui révéla son adresse, ne fait qu’effleurer la dimension polémique des événements. Jimenez n’ira jamais jusqu’à problématiser les méthodes expéditives des forces de l’ordre, pourtant déjà critiquées par plusieurs médias. Se faisant, il laisse ironiquement la porte ouverte à la remise en cause politique de son film, comme c’était le cas pour BAC Nord.

Quand bien même l’efficacité narrative et la maîtrise cinématographique de Novembre sont solides, son absence de discours et d’élargissement intellectuel le condamnent par défaut à un relatif oubli. Nul doute en effet que d’autres créateurs s’empareront avec plus de poigne de ce sujet toujours brûlant.

Sorti le 05 octobre 2022, de Cédric Jimenez, avec Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Sandrine Kiberlain, Jérémie Rénier

1En complément, l’auteur vous conseille la lecture de cet article, consacré plus en détail à la représentation de l’Amérique dans 24 Heures Chrono.

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