Si les auteurs chevronnés et les artisans consciencieux ont su exploiter son potentiel, le polar francophone peine malgré tout à sortir de son impasse. La faute à la résurgence, pour un nombre important des représentants du genre, des mêmes intentions et surtout des même tares. Comprenez un scénario balisé, en forme de déclaration d’amour un peu trop béate au cinéma hollywoodien du siècle dernier, et une manufacture trop fragile pour convaincre – dialogues vulgaires, interprétation forcée et mise en scène faussement “choc”.
Une recette classique qu’Entre la vie et la mort, malgré de réelles bonnes idées, ne parvient qu’à partiellement détourner.
Trajectoires contrariées
Deux films évoluent en parallèle dans le deuxième long-métrage de Giordano Gederlini – dont le premier, le très mal-aimé Samouraïs, est sorti il y a vingt ans ! D’un côté, le parcours tragique de Leo, conducteur de métro au passé trouble (Antonio de la Torre, dont le charisme soutient tout le film), obsédé à l’idée de comprendre pourquoi son fils unique est devenu braqueur et bien décidé à rendre à ses assassins la monnaie de leur pièce. De l’autre, une enquête policière qui ne sort jamais des clous et condamne le film à tomber dans la routine.
Le cinéaste se trouve dès lors irrémédiablement tiraillé entre ces deux tonalités, à cheval entre le cinéma de Michael Mann et un mauvais épisode de Julie Lescaut. L’influence de l’auteur américain transparaît d’ailleurs à chaque instant de la cavale de son héros taciturne, sans conteste ce qu’il faut retenir du film. Le caractère mutique et insondable du personnage motive une écriture subtile, toute en dissimulations et faux-semblants, et fait la part belle à la mélancolie inhérente à nombre de ses prédécesseurs. Une sensibilité soulignée par la représentation que fait le film des grands espaces urbanisés de Bruxelles et son monde souterrain, dont ne transparaît que la solitude de ceux qui les arpentent.
Malgré sa bonne volonté, le film ne parvient pourtant jamais à atteindre la même intensité contemplative que le cinéma de Mann, qui siérait pourtant parfaitement à l’errance funeste de Leo. Un tort causé par la présence envahissante de la police, qui ne semble pas intéresser Gederlini plus que cela et le force à rester toujours en surface des émotions de son héros. En témoigne la caractérisation fragile de Virginie, l’enquêtrice campée par Marine Vacth : à la fois résistante et toujours au bord de la crise de nerfs, elle n’existe souvent qu’au travers de la relation conflictuelle qui l’unit à son père et supérieur hiérarchique. Une définition sommaire qui rappelle les héroïnes du cinéma de Besson, archétypes depuis longtemps passés de mode.
On peut se réjouir de voir Entre la vie et la mort considérer son genre comme une fin en soi et pas comme une simple passerelle vers un discours éculé et conventionnel. Mais en définitive, le film manque d’une vraie radicalité pour faire plus qu’un simple passage en revue de la vitrine du polar, aussi bien achalandée soit-elle.
Sortie le 29 juin 2022, de Giordano Gederlini, avec Antonio de la Torre, Marine Vacth, Olivier Gourmet