À l’image du studio Disney Animation dans les années 90, Pixar a désormais l’habitude de proposer deux sorties par an, à raison d’une grosse production (souvent une suite) et d’un film relativement moins onéreux. Cette année, c’est Buzz L’Éclair qui tient le rôle phare, là où son prédécesseur, l’excellent Alerte Rouge, a été injustement bazardé sur la plateforme Disney+. Un paradoxe, tant ce dernier était infiniment plus ambitieux que ce nouveau film, signé Angus McLane.
Nostalgie2
À la fois prequel et spin-off de la franchise Toy Story, Buzz L’Éclair fait une promesse risquée dès son carton d’ouverture : être le film que le personnage d’Andy aurait vu dans les années 90, et qui l’aurait poussé à acheter le jouet Buzz L’Éclair. Mais à l’aube d’une décennie inaugurée par l’outrance de Total Recall et clôturée par la révolution Matrix, le film d’Angus McLane tombe très souvent dans le hors-sujet. La majorité du temps, Buzz L’Éclair ressemble en effet à un film de science-fiction des années 2010.
Par souci de justifier le moindre détail de son univers, le film se garde ainsi de toute tentation baroque, au profit d’un photoréalisme lorgnant du côté de Denis Villeneuve, voire de Christopher Nolan. L’écosystème de la planète sur laquelle atterrit le héros en est l’un des exemples les plus évidents, peinant à distraire l’oeil de ses déserts rocailleux et de ses jungles clairsemées. La logique de « world building » est réduite aux seuls enjeux de la vraisemblance et de la pure fonctionnalité scénaristique, bridages ô combien malheureux tant la mythologie de Buzz L’Eclair permettait toutes les outrances graphiques et scénaristiques possibles.
Angus McLane ne fait pas mieux lorsqu’il convoque des références plus vraisemblables, c’est-à-dire contemporaines ou antérieures aux années 90. Le design des combinaisons d’astronautes et des robots sont par exemple des hommages explicites aux anime Macross et Gundam. Apparues au début des années 80, ces œuvres ont rapidement infusé dans le cinéma de science-fiction du monde entier, notamment dans Aliens de James Cameron. Néanmoins, invoquer ces œuvres dans un film sorti en 2022 revient nécessairement à omettre leur digestion par la pop culture de ces quarante dernières années, et donc leur relative banalité.
Air du Temps
Le film ne fait pas mieux du côté de son intrigue, elle aussi d’une fonctionnalité déprimante. Confronter le personnage de Buzz au passage du temps n’était pourtant pas une mauvaise idée. En effet, le personnage se caractérisait jusqu’alors par un héroïsme constant, mais aussi par une forme d’aveuglement, comme on peut le voir dans le premier Toy Story. Confronter ce personnage à lui-même, c’est ainsi poser la question du prix de sa constance, notamment du point de vue de sa vie personnelle.
Responsable de l’échouage d’un vaisseau-colonie sur une planète hostile, le ranger de l’espace se donne dès lors pour mission de tester un combustible expérimental permettant à ce même vaisseau de repartir chez lui. À chaque essai, le temps sur la planète passe plus vite que celui de son vol. En l’espace d’un brillant montage alterné de quelques minutes, s’écoulent en vérité 62 années. La persévérance de Buzz le fait alors passer à côté de sa propre vie, tous ses proches ayant entre temps disparu. Son invariabilité, caractéristique de sa condition de jouet dans la saga Toy Story, nous est présentée comme une impasse. Une proposition aussi louable qu’hypocrite, dans la mesure où le projet esthétique du film se fourvoie dans une vision rigide et vitrifiée du cinéma de science-fiction. Malgré lui, Angus McLane nous rappelle alors la triste figure de Al, le collectionneur Toy Story 2, qui préférait figer la culture populaire dans une vitrine plutôt que de la revivifier.
Le personnage de Zurg – copié sur celui de Shaan dans la saga Lone Sloane de Druillet – tend également vers cette thématique du temps. Malheureusement, la réduction de son arc narratif à deux péripéties – la poursuite de Buzz puis la révélation de son identité – affaiblit son impact, privé du moindre crescendo émotionnel. Le film ne se satisfait une nouvelle fois que de sa propre utilité dramaturgique, au point même de réduire à peau de chagrin la caractérisation de certains personnages. C’est notamment le cas de Mo et Darby, qui n’ont pour eux que leur maladresse et leur roublardise. Pire, leurs gaffes sont le seul élément justifiant l’entièreté du deuxième acte, suite de péripéties peu inspirées car fondamentalement inutiles à l’intrigue.
Buzz L’Éclair est donc une déception sur quasiment tous les plans : une promesse initiale non tenue, une direction artistique sans audace, le tout au service d’une intrigue désespérément fonctionnelle. Du déjà-vu, et rien au-delà.
Sortie le 22 juin 2022, réalisé par Angus McLane, avec Chris Evans, Keke Palmer, Taika Waititi, Peter Sohn, James Brolin.