Passé devant la caméra des plus grands réalisateurs américains, Tom Cruise s’est constitué au fil des années l’un des plus beaux tableaux de chasse du cinéma hollywoodien. Les années 2010 ont néanmoins marqué un tournant dans sa carrière : sa logique n’est désormais plus celle d’un chasseur de tête rusé, mais plutôt celle d’un acteur s’obstinant à prouver que le temps ne l’affecte en rien.
Son obsession rejoint malgré elle l’état d’esprit du Hollywood de ces vingt dernières années. De la résurrection d’idoles passées au refus de voir mourir ses héros du présent, l’industrie se sclérose de plus en plus dans une peur morbide du changement. Sur le papier, Top Gun : Maverick est le symptôme de cette interminable vague nostalgique. Bien qu’anachronique, le film de Joseph Kosinski arrive cependant à tirer son épingle du jeu, notamment grâce au savoir-faire de ses scènes de voltige.
Air Formol
Peu motivé à l’idée de reprendre son rôle de Pete « Maverick » Mitchell, Cruise a finalement cédé au chant des sirènes. Cinéphile érudit, l’acteur sait que la tâche ne va pas être facile. Attaché à l’implication émotionnelle du spectateur, il sait pertinemment que celle-ci peinera à s’incarner au travers des coquilles vides du premier film. Pur objet publicitaire réalisé par un plasticien de génie, Top Gun n’était, selon Cruise lui-même, rien de plus qu’un « amusement ride » fantasmatique, mu par l’action et l’adrénaline.
Face au mur, l’acteur-producteur fait réécrire le script de cette suite plusieurs fois, jusqu’à le faire coïncider avec le storytelling de sa propre carrière. La potentielle nostalgie ne nait pas des retrouvailles avec des personnages, mais bien de celle avec leurs interprètes. Toute les enjeux du film – au demeurant extrêmement balisés – n’ont donc d’intérêt que par rapport à la persona des stars du précédent volet. Le retour de Val Kilmer dans le rôle de « Iceman » en est d’ailleurs l’exemple le plus manifeste. Fragilisé par un cancer de la gorge, l’acteur avait jusqu’alors déserté les écrans de cinéma, au grand dam des spectateurs l’ayant connu dans sa prime jeunesse. Revoir « Iceman », lui aussi atteint d’un cancer dans le film, c’est aussi et surtout être ému de revoir Val Kilmer. Un moindre mal, qui peine malgré tout à dissimuler la vacuité de l’intrigue en elle-même.
Du côté de Cruise, les enjeux méta abondent : « Maverick » est-il toujours apte à être pilote ? A-t-il toujours sa place dans le programme Top Gun ? Saura t-il guider la nouvelle génération vers le succès, voire même passer le relais ? Diplomate, l’acteur ménage la chèvre et le chou : les jeunes ont leur place, mais en dépit de ce semblant d’éloge au collectif, son personnage demeure la clé par laquelle l’intrigue se résout. Maverick reste « The Man », l’expert absolu, conjuguant son tempérament de tête brûlée à une sagesse toute relative.
Vitesse de pointe
Même si le fond du film est condamné à suivre la mode insupportable du métatextuel, la forme, quant à elle, sort un peu plus des sentiers battus. Le savoir-faire technique constitue d’ailleurs la principale qualité des productions Cruise des années 2010.
Bon artisan sans grande personnalité, Joseph Kosinski témoigne néanmoins d’une capacité à produire des images techniquement abouties, à défaut d’être mémorables. Familier des scènes d’infiltrations et des personnages experts dans leur domaine, il constituait le choix idéal pour Cruise, avec qui il avait déjà collaboré sur Oblivion.
L’enjeu, souvent rappelé par Cruise en interview, est simple et efficace : retranscrire l’expérience d’un pilote d’avion de chasse dans les conditions d’une salle de cinéma. Profitant des progrès technologiques permis par le retard de la production, le cinéaste et son chef opérateur Claudio Miranda mettent au point une version compact de caméra IMAX 6K, de telle sorte à ce qu’elle puisse être facilement incorporée dans les avions. Cela leur permet d’une part d’accentuer le gigantisme des plans larges, et d’autre part, de rendre les séquences en cockpit plus immersives. Contrairement au premier film, le ciel envahit une bonne partie du cadre, participant à l’impression de réalité recherchée par l’équipe. Cela permet aussi de justifier de nombreux effets de flare (numériques et pratiques), dont certains sont le fruit d’expérimentations sur l’obturateur des caméras. Le ressenti de la vitesse des avions devient alors l’un des enjeux les plus passionnants du film.
C’est lorsqu’il se focalise sur la performance héroïque de ses protagonistes que Top Gun : Maverick renoue avec le sel de son prédécesseur : un pur mouvement d’action, certes carencé en dramaturgie, mais qui investit pleinement le spectateur par le seul biais de sa mise en scène. Cette qualité ne gomme en rien l’essence passéiste du projet, mais a au moins le mérite de redonner un sens à l’expérience de la salle : un moteur qui tourne, un siège qui tremble, et un frisson d’adrénaline trop rare pour être boudé.
Sortie le 25 mai 2022, réalisé par Joseph Kosinski, avec Tom Cruise, Miles Teller, Jennifer Connelly, Jon Hamm.