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Un Oeil dans le Rétro – Otage (Florent Emilio Siri, 2005)

« Je dis toujours que j’écris un film quatre fois : au scénario, au découpage, puis au tournage et enfin au montage »

Florent Emilio Siri

Explorer le cinéma dans toute sa largeur, à travers chaque étape de fabrication, voilà l’objectif que poursuit sans relâche Florent Emilio Siri depuis ses débuts. Son deuxième film, Nid de guêpes, thriller d’action imparable, passionne les débats cinéphiles à sa sortie à défaut de rencontrer le succès en salles en France. Heureusement, il parvient à susciter un plus vif intérêt au pays de l’Oncle Sam et trouve grâce aux yeux d’un certain Bruce Willis.

Très impressionnée par la maîtrise du jeune réalisateur français, la star américaine le sollicite pour porter à l’écran l’adaptation du roman Otages de la peur de Robert Crais. Une simple commande au départ que Siri va investir avec un talent insolent, réécrivant le scénario tel que proposé au lancement du projet, imposant certains proches collaborateurs dans l’équipe (directeur de la photographie, compositeur…) ainsi que ses propres méthodes de tournage.

De fait, si la particule « Emilio » disparaît de son nom au générique d’Otage, il ne faut en aucun cas y voir une preuve de son désengagement, au contraire, la singularité de son style y fait bel et bien merveille.

Intérieur/extérieur

Avec Otage, Siri sait qu’il a une double mission : confirmer les attentes placées en lui à la suite de son précédent long-métrage et diriger un monstre sacré du cinéma, celui qu’il tient pour le John Wayne de sa génération, le bien-nommé Bruce Willis. À la fois acteur principal et producteur du film, Willis interprète ici Jeff Talley, un ancien négociateur de Los Angeles brisé par la mort de deux otages, une mère et son jeune fils, à qui il aurait pu sauver la vie.

Devenu chef de police d’une petite ville sans histoire, Talley se retrouve à nouveau confronté au pire lorsqu’un père et ses deux enfants sont faits prisonniers à leur domicile par trois délinquants. Venus dépouiller la famille de quelques objets de valeur, les preneurs d’otages, encerclés par les forces de l’ordre, choisissent de s’enfermer chez leurs victimes, une forteresse high-tech imprenable. Pour Talley, la situation s’aggrave encore davantage quand sa propre famille est enlevée, l’obligeant à mener en parallèle deux opérations de sauvetage, l’une servant de couverture à l’autre.

Cousin lointain de John McClane, la décontraction en moins, le héros d’Otage affiche les stigmates de ceux qui ont passé la main. « Je n’ai plus le commandement », avoue-t-il en larmes à l’homme cagoulé qui menace d’exécuter sa femme et sa fille. Au fond, Talley a toujours cherché à se tenir à l’écart, en marge du feu de l’action. Plutôt que de répondre par les armes, il préfère répondre au téléphone et neutraliser l’ennemi à distance. C’est là où il fait la différence, du moins le croit-il. Siri élabore ainsi une scénographie où le dedans et le dehors semblent irréconciliables de prime abord. La propriété assiégée est très vite coupée de l’extérieur : des rideaux métalliques condamnent toutes les issues et les caméras de surveillance installées extra-muros sont détruites par la police.

Paradoxalement, c’est à ce moment précis que Talley commence à reconquérir la sphère intérieure, au téléphone d’un côté, avec Tommy, l’un des deux jeunes otages, puis in situ de l’autre, en franchissant graduellement l’enceinte de la propriété à l’occasion de pourparlers avec les criminels. Un regain d’assurance que Siri traduit en termes purement cinégéniques, via la progression du personnage dans l’espace. Si Talley ne veut plus avoir de morts sur la conscience, il doit abattre la frontière entre le dedans et le dehors et c’est ce qu’il finit par accomplir après avoir réalisé ceci : « C’est moi le boss ».

Couleur sang

Tout au long du film, le cinéaste prend soin d’articuler son projet esthétique autour d’un motif évident : le rouge. Dès l’exceptionnel générique de début, qui évoque peu ou prou celui de Panic Room de David Fincher – avec lequel Otage dialogue souvent – la dite couleur teinte un environnement en noir et blanc. Une « trilogie » chromatique identique à celle qui prévalait dans l’Antiquité, le noir et le blanc étant historiquement liés à l’obscurité et à la lumière, tandis que le rouge représente le sang et donc la vie elle-même.

Symbole de puissance, de violence mais aussi d’amour, le rouge est ce contre quoi les personnages luttent et in fine ce par quoi ils triompheront. Cela s’incarne parfois par le biais de petits détails, à l’image des t-shirt rouges que portent le jeune garçon du prologue, tué avec sa mère, et Tommy. Dans le premier cas, la couleur avait une valeur prémonitoire funeste tandis que dans le second cas, elle marque une forme de supériorité voire de revanche sur les événements (« T’es un vrai champion », dit Talley à Tommy à l’issue de leur collaboration).

De la même façon, l’un des trois preneurs d’otage (Ben Foster), sorte d’électron libre encore plus fou que les deux autres, se fait appeler Mars, en écho sans doute au dieu de la guerre et du carnage, soit celui qui par définition verse le sang. Véritable antagoniste du film, il en contamine peu à peu l’imagerie ainsi que la tonalité au point de faire basculer l’actioner dans l’horreur. Le dernier acte est à ce titre remarquable, Siri profitant du dédale de passages secrets de la propriété afin d’instiller l’effroi, à la manière de Wes Craven avec Le sous-sol de la peur.

Le rouge renvoie aussi au feu, à l’enfer. Une dimension religieuse que Siri exploite au travers d’une iconographie très spécifique. Un exemple assez frappant concerne la sœur de Tommy, Jennifer, qui apparaît à Mars telle la Sainte-Vierge, le visage orné d’un voile, lors du brasier final. Un brasier annoncé très tôt par ailleurs via le slogan « Burn it » imprimé sur le débardeur de Jennifer et que Mars reprendra à son compte en l’interprétant comme une parole prophétique. Enfin, qui dit enfer dit paradis : la clé du salut pour la famille de Talley résidant dans une jaquette de DVD associée au film Le ciel peut attendre.

Alors faute de subtilité sur le plan symbolique, reconnaissons au réalisateur une réelle habileté à convoquer des idées simples mais immédiatement intelligibles pour le spectateur. Au bout du compte, il n’est question que de rédemption. C’est le sens de ces fondus au blanc qui interviennent dès lors que Talley est confronté à la vue du sang, pour revenir vers ce qui est immaculé, sans taches. Seulement voilà, l’ironie, cruelle, impose au héros de se salir les mains pour rester en vie avec les siens. Un dilemme moral captivant qui achève de faire d’Otage un grand film d’exploitation.

Grâce à des partis pris inusité, le réalisateur tord les codes du home invasion et prouve à ses contemporains qu’il est possible de rester intègre et maître de son art même au sein de la plus puissante industrie cinématographique.

Sortie le 27 avril 2005, réalisé par Florent Emilio Siri, avec Bruce Willis, Ben Foster, Jonathan Tucker, Kevin Pollak…

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