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Critique – Candyman (Nia DaCosta, 2021)

Rétrospectivement, il était assez naturel que Jordan Peele, au gré de sa carrière de scénariste-réalisateur horrifique, se confronte un jour au mythe de Candyman, et plus particulièrement au film éponyme de Bernard Rose. Adapté de la nouvelle « Lieux interdits », issue du cinquième tome des Livres de Sang de Clive Barker, le premier film creusait déjà, en 1992, le même sillon que Peele vingt ans après. Toujours à mi-chemin entre la chronique sociale et le slasher (sans jamais laisser l’un prendre le pas sur l’autre), Candyman dressait le constat d’un racisme structurel, ethnique et social toujours à l’œuvre aux États-Unis, tout en ouvrant les portes d’un imaginaire sombre, mélancolique et torturé, royaume d’un croque-mitaine magnétique et terrifiant campé par le génial Tony Todd.

Si Peele officie comme producteur et coscénariste sur cette nouvelle mouture, c’est la réalisatrice Nia DaCosta, figure récente du cinéma indé US, qui signe le film. A la différence de Rose, Peele et DaCosta appartiennent tous deux à la communauté afro-américaine et choisissent donc de renverser la focalisation de l’histoire. Exit la thésarde issue de la bourgeoisie blanche découvrant la misère des ghettos de banlieue ; ce nouveau Candyman raconte l’histoire d’Anthony McCoy, artiste-peintre noir aux conditions de vie aisées, se prenant vite d’une obsession dévorante (à plus d’un titre) pour la légende du croque-mitaine tuant tous ceux qui répètent son nom cinq fois devant leur miroir. Catalyseur des souffrances endurées par les Noirs américains dans le film de Rose, Candyman devient, chez DaCosta, le révélateur d’une réalité sordide et cynique : celle de leur gentrification, dont le film ne parvient d’ailleurs pas à contourner tous les biais.

De l’autre côté du miroir

Le récit de ce Candyman est, avant tout, celui d’une disparition : celle des quartiers populaires miséreux et, avec eux, du folklore des communautés qui les peuplent. En lieu et place des grands ensembles de Cabrini-Green (lieu de tournage du premier film, démolis en 2011) s’élèvent maintenant de grands lofts, luxueux, aérés et impersonnels, dans lequel le film choisit de planter son décor. Mais rien n’empêche néanmoins la culture populaire et ses mythes de faire retour. C’est le cas lorsque le frère de Brianna, la petite amie du héros, raconte, tel un enfant autour d’un feu de camp, la légende urbaine d’Helen Lyle (soit l’histoire du premier film). Une séquence qui met à distance le long-métrage original, qui n’est plus qu’un conte d’épouvante parmi d’autres, autant qu’elle entérine son statut mythologique. Refusant catégoriquement le flashback, DaCosta a recours à des ombres chinoises pour figurer visuellement un récit que l’on devine transformé par de nombreuses narrations, soulignant ainsi son intemporalité.

Après ce retour aux sources, le film prend un chemin opposé à celui de son modèle, démontrant la pertinence de l’inversion mentionnée plus haut. Il ne s’agit plus, pour le personnage (et avec lui, le spectateur), de faire l’expérience d’une culture inconnue, mais de renouer avec des racines que la société s’efforce de gommer. Dès lors, Nia DaCosta confère à son personnage de monstre une fonction libertaire, Candyman s’attaquant toujours à des figures oppressives, de natures diverses – un galeriste opportuniste, une critique d’art sévère, un groupe de lycéennes moqueuses… Par ailleurs, le caractère méta-textuel du monstre, présent dès la nouvelle, est ici toujours palpable. Tout comme le personnage et le spectateur se confondent, unis par une même peur mêlée de fascination, le miroir dans lequel Candyman se matérialise évoque directement l’écran de cinéma, l’endroit-même où s’exorcisent nos peurs les plus profondes. Sa dimension métaphorique s’en voit décuplée, poursuivant le spectateur au-delà du film – une fois rentré chez lui, osera-t-il faire face à son miroir ? Pourra-t-il prononcer cinq fois son nom ?

Cercle vicieux

Témoignant d’un soin méticuleux porté à la composition des plans et à la texture de l’image, débarrassée de ses aspérités par l’usage du numérique, Candyman est, indéniablement, un très beau film… et c’est précisément là que le bât blesse. Ironiquement, la démarche de DaCosta se révèle, sur un plan strictement formel, parasitée par un certain embourgeoisement, reproduisant, à l’échelle du cinéma lui-même, l’uniformisation qui sévit dans les grandes zones urbaines. Un film de plus à envisager comme le représentant de l’elevated horror, appellation malade désignant le croisement entre film d’horreur et cinéma indépendant conventionnel. à trop se concentrer sur le versant intellectuel et cérébral du genre, on finit par négliger sa fonction divertissante et joyeusement subversive. Si la démarche peut, dans sa première partie, sembler pertinente (adopter des codes de représentation institutionnels pour souligner l’insipidité du quotidien des personnages), il devient vite clair qu’un tel choix relève, pour Nia DaCosta, d’un travers inconscient. Le personnage d’Anthony aura beau s’éloigner de plus en plus de son confort initial, jamais l’esthétique du film n’embrassera son parcours.

Un tel parti-pris laisse le spectateur habitué du genre frustré face à l’absence de générosité du film, son bagage thématique conséquent ne trouvant jamais d’incarnation puissante à l’image. Ne restent alors que quelques surgissements gores sporadiques, dont la rareté condamne le film à évoluer dans l’ombre de son modèle, nettement plus viscéral.

Sortie le 29 septembre 2021, de Nia DaCosta, avec Yahya Abdul-Mateen II, Teyonah Parris, Nathan Stewart-Jarrett, Tony Todd

Note : 2.5 sur 5.

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