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Un Oeil dans le Rétro – Peur sur la ville (H. Verneuil, 1975)

Légende du cinéma populaire français, Jean-Paul Belmondo est mort. Grand comédien de théâtre, visage fondateur de la Nouvelle Vague, alter ego de Jean-Pierre Melville, star du cinéma d’action hexagonal et finalement icône du cinéma d’auteur chez Lelouch ou Blier… Belmondo aura campé tous les rôles avec une espièglerie et une versatilité sans égales, et ce sans jamais renier son intransigeance, sa franchise ou ses valeurs. C’est ce qui le poussera à refuser le César du Meilleur Acteur en 1989, outré par les commentaires du sculpteur du même nom sur les œuvres de son père – et probablement blessé par le mépris de la critique, toujours prompte à fustiger le cinéma qui fait des entrées.

C’est précisément pour cela que, de tous les grands films que Belmondo aura illuminé de sa présence, c’est Peur sur la ville qui méritait, selon nous, un énième coup de projecteur.

Dirty Bébel

Commissaire de police casse-cou et borné, Letellier se trouve aux prises avec un tueur en série, « Minos », dont les cibles sont des femmes de petite vertu. Tandis qu’une traque sans relâche débute dans les rues de Paris, le retour du gangster Marcucci, ennemi juré du commissaire, va lui compliquer la tâche et raviver son esprit de revanche.

Quelques notes de piano désaccordé signées Ennio Morricone suffisent pour poser l’ambiance sombre et torturée du thriller urbain qu’est Peur sur la ville, projet ambitieux assumant pleinement sa dimension commerciale. Il faut dire que Bébel sortait à peine du Stavisky d’Alain Resnais, échec financier dont il était producteur. à nouveau à la barre via sa société Cerito (d’où l’affiche très avantageuse à son égard), l’acteur et son cinéaste Henri Verneuil mettent donc les petits plats dans les grands. Le film détonne par sa multiplicité de styles, du giallo au film d’action spectaculaire en passant par le polar hard boiled façon Clint Eastwood. Un panel de références qui sonnent, aux oreilles des institutions du cinéma, comme triviales et bas de plafond. C’est pourtant passer à côté de la rigueur sans relâche d’un Verneuil au sommet de son artisanat. Le réalisateur manipule avec soin les genres que le scénario convoque, tout en investissant un décor typique de l’urbanisme des années 70 – les gratte-ciels de l’ouest parisien, à l’époque à peine sortis de terre et symboles de modernité. En résulte un film singulier, découpé avec une grande finesse et porté par un regard naturaliste qui en fait aujourd’hui, outre un divertissement toujours jouissif, le témoin fidèle de son temps.

Surtout, Verneuil sait faire confiance à sa star, dont l’implication est totale. Belmondo le sait : on ne triche pas avec le public. Aussi exécute-t-il lui-même toutes ses cascades, comme il le faisait déjà pour Philippe de Broca dans les années 60, et cela sans aucune sécurité. D’où cette course-poursuite dantesque, visuellement époustouflante, où Bébel saute de toit en toit, conduit à toute allure et court tel un félin sur une rame de métro. Une scène dont l’authenticité préserve encore aujourd’hui toute la puissance, Verneuil ayant eu l’intuition de capter le moment tel qu’il est, presque sans aucun effet de style. Comme si Jackie Chan et le cinéma direct entraient brutalement en collision.

Tout comme elle reproche à Verneuil de perpétuer l’aspect industriel et commercial du septième art, la critique cesse bien vite de considérer Bébel comme un acteur de premier rang, jugeant avec mépris son goût pour les cabrioles. En parallèle de cette disgrâce, l’acteur connaîtra pourtant une formidable apogée dans les années 80, passant de la comédie au polar avec aisance et enchaînant les succès au box-office. Apogée grandiose de cette période, Peur sur la ville témoigne de la noblesse foraine du grand cinéma populaire, celui dont Belmondo était le plus éminent représentant. Un cinéma qui ne propose pas plus qu’une généreuse tranche de grand spectacle, du moins en apparence. Encore fallait-il avoir ce qu’il faut pour soutenir un projet d’une telle ampleur : « une petite tête et des gros bras », comme dit Belmondo lui-même à la fin du film, mais aussi, et surtout, un immense talent.

Sortie en 1975, de Henri Verneuil, avec Jean-Paul Belmondo, Charles Denner, Adalberto Maria Merli, Lea Massari

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