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Critique – Army of the Dead (Zack Snyder, 2021)

Ça sent le cadavre…

Deux mois après la bruyante sortie de son Justice League en vidéo à la demande, Zack Snyder remet déjà notre rétine à rude épreuve avec l’exclusivité Netflix Army of the Dead. Il renoue à cette occasion avec le film de zombies – dix-sept ans après L’armée des morts, son premier long-métrage – mais entend réinventer ce genre relativement éculé en le mâtinant cette fois-ci d’une intrigue de film de casse. Le pitch : une bande de mercenaires est engagée pour commettre un braquage à Las Vegas, devenue champ de ruine isolé du reste du monde après avoir été ravagée par une horde de zombies.

Army of the Dead remplit-il donc sa promesse de « film tout à la fois marrant et introspectif », pour reprendre l’expression de Snyder ? Rompt-il avec la balourdise grandiloquente de ses précédentes – et interminables – escapades super-héroïques ?  Est-il enfin l’occasion pour le cinéaste d’exprimer toute sa finesse et sa sensibilité au sortir d’expériences compliquées dans le système classique des studios ? Malheureusement pour nous, cette nouvelle incursion du réalisateur dans le monde des morts-vivants sent encore plus le cadavre que la précédente…

Contrôle

Eu égard à la bienveillance de son distributeur Netflix et de sa productrice Deborah Snyder, c’est peu dire que le cinéaste a pu jouir d’une liberté confortable en ce qui concerne l’élaboration de ce film, qu’il porte depuis une dizaine d’années. D’ailleurs, outre le poste de réalisateur, il assure celui de co-scénariste, de cadreur, et pour la première fois dans sa carrière, celui de chef opérateur.

Cette liberté a ainsi permis à Zack Snyder de contrôler de A à Z la tenue visuelle de Army of the Dead. Il a par exemple fait construire plusieurs caméras liant la technologie numérique – support qu’il utilise pour la première fois – à de vieux objectifs « Dream » de la marque Canon, qui permettent de donner une tonalité plus douce et organique à l’image. À cela s’ajoute une volonté de tourner presque entièrement en lumière naturelle ; une ambition qui nous faisait espérer une rupture avec la surcomposition numérique de ses précédents travaux. Enfin, quasiment tous les plans du film ont été tournés à l’aide de deux objectifs à ouverture fixe de 0,95, ce qui permet de jouer plus facilement avec la profondeur de champ, et de mieux détacher un sujet de l’arrière-plan flou. 

Autant dire que sur le papier, le film « marrant et introspectif » partait sur les chapeaux de roues ! Malheureusement, à l’image des autres longs-métrages de Snyder, ce plan d’attaque, aussi sincère et pensé soit-il, finit par se vautrer dans une balourdise et une laideur visuelle absolument déconcertante.

Flou

Au bout d’une quinzaine de minutes, l’effet commence à se faire sentir, et le spectateur candide s’interroge : « On y voit rien là, non ? ». Profitant des libertés permises par les deux objectifs précités, Snyder n’a en effet de cesse d’isoler ses personnages sur un arrière-plan systématiquement flou, et ce, au travers de plans majoritairement rapprochés. Allons bon, n’est-ce pas là justement une façon d’exprimer par l’image le caractère introspectif du film, ainsi que la profondeur de ses personnages ô combien complexes et tourmentés ? Après tout, ce principe se retrouvait également dans une série comme Sense8, autre production Netflix dont la tenue visuelle ne suscitait pas les mêmes reproches.

La différence de qualité entre les deux projets tient à trois éléments. Le premier, c’est l’insistance avec laquelle Snyder utilise ce que nous appellerons grossièrement « la longue focale ». Combiné à un obturateur très ouvert – qui laisse ainsi passer énormément de lumière jusqu’au capteur de la caméra – ce procédé est amené à s’incarner dans un flou extrêmement vif et texturé, tant et si bien qu’on ne peut passer à côté des formes qu’il dissimule. Ainsi, en appuyant tellement sur le flou, Snyder desserre sa volonté d’introspection, car notre oeil est accaparé par l’arrière-plan qui dévore littéralement les personnages à l’écran. On pourrait y voir un geste radical, mais à ce stade là, on parlera plutôt de rééducation musclée de la rétine. 

Il est probable que le film soit moins douloureux à regarder sur un écran de téléphone, lequel support pourrait d’ailleurs justifier l’usage abondant de la longue focale et des plans rapprochés, les personnages étant ainsi plus « visibles ». Tout dépend, alors, de la conception que l’on se fait du cinéma, et de la façon dont on doit le regarder. Néanmoins, en arriver à un tel point de souffrance, ne serait-ce qu’au travers d’un visionnage sur un simple écran de télévision, questionne fondamentalement la pertinence de ce choix, ou en tout cas, la radicalité avec laquelle le cinéaste l’a concrétisé à l’écran.

Langage

Le second élément qui différencie Sense8 du film de Snyder, c’est la capacité de la première à faire respirer son dispositif au travers de moments clés, tournés au ralenti et en plan d’ensemble, là où le second peine à rendre ses ruptures cinématographiquement pertinentes, eu égard à la méconnaissance du réalisateur des ressorts du langage visuel. 

Trop de ralenti tue le ralenti. De même, un money shot n’a de sens que s’il s’inscrit dans un cheminement dramaturgique justifiant son emploi et redoublant son effet. Cela, Snyder ne le comprendra peut-être jamais. Dès lors, à la suite de Watchmen et de Justice League, nous avons de nouveau droit à un générique d’introduction composé d’une série de plans au ralenti avec une reprise de chanson connue en off. C’est là l’expression la plus visible du passé de « pubard » du réalisateur, les séquences étant pensées individuellement les unes des autres, avec à chaque fois une ellipse nous empêchant de profiter de l’action ou du drame visible à l’écran.

D’ailleurs, cette obsession de l’ellipse – paradoxale quand on regarde la longueur démesurée du film – se retrouve au-delà de ce générique d’introduction, notamment à des moments de l’intrigue qui auraient dû donner lieu à un développement plus conséquent. L’exemple le plus frappant est le désamorçage de la chambre forte réputée impénétrable. Dans la séquence 1, le personnage à qui incombe la tâche de trouver la bonne combinaison réclame le silence pendant 30 minutes. Dans la séquence 2, on se focalise sur un autre axe narratif. Dans la séquence 3, on se focalise de nouveau sur la chambre forte, et au bout de cinq secondes, le coffre est ouvert. On aura vu des ellipses plus pertinentes, surtout quand on a en tête le fait que le film de casse était l’un des deux genres explicitement revendiqués par Snyder…

Le troisième et dernier élément enterrant Army of the Dead six pieds sous terre en dessous de la série des Wachowski, c’est bien évidemment l’écriture des personnages, terriblement vides et désincarnés. Le moment du recrutement est à ce titre particulièrement gênant, les stéréotypes – l’allemand excentrique, la garçonne pilote d’hélicoptère, le daron en quête de rédemption – n’ayant que peu de temps pour s’exprimer au travers de punchlines mal écrites, mal rythmées, et globalement sans intérêt. Mention spéciale à l’axe narratif centré sur la relation entre le personnage de Scott (Dave Bautista) et sa fille Kate (Ella Purnell), drôle malgré lui tant il peine jusqu’au bout à dissimuler sa propre bêtise. En cela, les personnages apparaissent aussi flous au spectateur que l’arrière-plan sur lequel ils se détachent.

Ce manque d’incarnation concerne enfin les zombies eux-mêmes, seul élément du film qui aurait pu être sauvé, si encore une fois Snyder n’échouait pas à rendre leur présence viscérale et inquiétante. Que ce soit la découverte du tigre zombie, de la reine ou du roi des alpha, jamais le cinéaste n’arrive à en tirer ne serait-ce qu’un seul moment iconique, ni même à mettre en valeur le design plus ou moins travaillé de ses créatures, qui n’apparaissent finalement pas beaucoup de temps à l’écran. Pire, même s’il n’est pas avare en gore, le film arrive paradoxalement à être prude au moment où il ne le faudrait pas. Jamais la violence, la chair et le sang ne sont montrés en gros plan. Et lorsque le gore s’incarne, même au travers des rares effets spéciaux physiques du film, le cinéaste se débrouille toujours pour réduire l’idée à une pitoyable sensation de faux, noyée dans des giclées de sang numériques absconses et datées.

Army of the Dead est ainsi la caricature de tous les travers d’un réalisateur incapable de comprendre le cinéma en tant que langage. De son générique d’introduction poussif à sa conclusion aussi caricaturale que désincarnée, ce nouveau film de Zack Snyder est un ratage complet, d’autant plus frustrant qu’il tenait avec son bestiaire de maccabées survoltés une idée de cinéma passionnante à explorer.

Sortie le 21 mai 2021 sur Netflix, réalisé par Zack Snyder, avec Dave Bautista, Ella Purnell, Ana de la Reguera, Garret Dillahunt.

Note : 0.5 sur 5.

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