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Un Oeil dans le Rétro – The Wicker Man (Robin Hardy, 1973)

On brûle tout, et on recommence…

La veille du 1er mai, le sergent de police Neil Howie se rend sur une île des Hébrides afin d’enquêter sur la disparition d’une jeune fille. Une fois sur place, il se heurte à l’hostilité des habitants, peu enclins à l’aider dans ses recherches. Face aux coutumes locales, entre animisme païen, danses celtiques et exaltation de l’eros, ce fervent chrétien tombe des nues ; il va alors comprendre que sur cet îlot reculé, son Dieu n’est clairement plus en odeur de sainteté…

Révélation

The Wicker Man est le fruit (défendu) d’une étroite collaboration entre le réalisateur de documentaires Robin Hardy et le scénariste Anthony Shaffer, auteur de la pièce Sleuth (1970), de son adaptation cinématographique Le Limier (1972), ou encore de Frenzy (1972), l’avant-dernier film d’Hitchcock. Eu égard à ses précédents travaux, cela paraît étonnant qu’un scénariste comme lui, solidement ancré dans le genre policier, s’adonne à l’écriture d’un film aussi carnavalesque que The Wicker Man. Or, dans chacune de ses oeuvres, Shaffer plonge justement son héros dans un mystère insondable, et dont il ne voit l’envers du décor qu’après avoir pris la pleine mesure de son destin. Son travail ne cesse donc d’interroger le point de vue de ses personnages, en confondant très habilement résolution narrative et révélation personnelle. C’est là l’un des motifs centraux de The Wicker Man.

L’idée du film lui vient au début des années 70, au moment où les cultures celtiques réinvestissent tout un pan de la culture populaire anglo-saxonne. Le Seigneur des Anneaux connaît une seconde jeunesse en devenant un « must-read » des milieux étudiants, le groupe Led Zeppelin invoque le dieu Pan au début de « Stairway to Heaven », et les mouvements hippies donnent naissance à une contre-culture « néo-païenne » qui affole l’establishment. Shaffer est fasciné par l’opposition entre ces deux systèmes de pensée, qui perturbe les définitions alors communément admises de la « modernité » et du « progrès ». Lui vient alors l’envie de développer ce sujet au travers d’un film d’horreur qui soit anthropologiquement juste dans sa description des rituels païens. Et qui de mieux que le documentariste Robin Hardy, avec qui il avait fondé la société de production Hardy, Shaffer & Associates, pour mettre en image ce projet sulfureux de la façon la plus réaliste possible ? Ce dernier, fasciné par l’idée de son ami, accepte sa proposition. 

Shaffer s’inspire d’abord du roman Rituel (1967) de David Pinner, qui raconte l’histoire d’un policier chrétien enquêtant sur le probable meurtre rituel d’une jeune fille. Il en acquiert les droits, avant de s’en détacher complètement et de se concentrer sur la notion de sacrifice. Le déclic lui vient lorsqu’il tombe sur un extrait des Commentaires sur la guerre des Gaules de Jules César, où ce dernier fait état de criminels brulés vifs par une tribu gauloise dans une immense statue en osier. L’image du dieu d’osier apparaît : Shaffer tient son script.

Christopher Lee est impliqué très rapidement dans le projet. Lassé d’arborer la cape de Dracula et les bandelettes du monstre de Frankenstein pour la Hammer, l’acteur britannique souhaite renouveler son image au cinéma avec des rôles d’envergure. Il rencontre Shaffer au tout début des années 70, et se met d’accord avec lui pour réaliser un projet commun, qui deviendra The Wicker Man. De son propre aveu, sa performance dans le film est l’une des plus flamboyantes de sa carrière. Dandy élégant, grotesque et effrayant, le personnage de Lord Summerisle marque les esprits du fait de sa fascinante ambivalence. On en viendrait presque à le préférer au personnage principal joué par Edward Woodwar, grenouille de bénitier rigide et austère.

Anthropologie (Post-) Apocalyptique

Le film oppose deux visions du monde diamétralement opposées : d’un côté, le logos, l’esprit, le mariage, la messe et la rigidité apollinienne, et de l’autre, la création, l’eros, le corps, le sexe, le carnaval et l’extravagance dionysiaque. L’une des grandes forces de la mise en scène de Hardy est qu’elle ne se range d’aucun côté, précisément parce que son approche anthropologique l’empêche à chaque instant d’adopter une quelconque position moralisatrice.

D’après le personnage de Lord Summerisle, les habitants de l’île s’en sont remis aux anciens dieux parce que ce sont eux, et eux seuls, qui auraient « répondu »  au risque de raréfaction des ressources locales. C’est donc la crainte de l’apocalypse qui ravive la flamme des anciennes divinités, et par là même, celle des bûchers et des rites sacrificiels. The Wicker Man nous montre ainsi que l’exaltation des croyances irrationnelles est une force qui sommeille en nous depuis la nuit des temps, et qui n’a cessé de s’exprimer au travers de nos pulsions les plus bestiales, tantôt sexuelles, tantôt morbides. 

Le réseau symbolique de ces rituels païens prend alors tout son sens : c’est au travers de l’expérience de la mort que les anciens dieux pourront à nouveau ensemencer les terres, et conduire les hommes vers la prospérité. Les habitants de Summerisle ont ainsi troqué le caractère définitif du mythe chrétien de la résurrection contre la répétition du mythe païen de la réincarnation, calqué sur le cycle des saisons. Face à cela, Neil Howie ne peut rien faire si ce n’est prier un Dieu qui ne lui répondra pas. Sa promesse de résurrection s’évapore à mesure que le dieu d’osier s’embrase, que sa chair crépite, et que ses cendres se volatilisent en compagnie de ses dernières certitudes.

En cela, The Wicker Man est l’expérience carnavalesque par excellence ; un film qui retourne sens dessus dessous la modernité et l’archaïsme, l’ordre et le désordre, la vie et la mort,  et qui confond les repères du spectateur avant de les sacrifier sur l’autel d’anciens dieux aussi familiers que revanchards. À revoir à tout pris, même si le 1er Mai est passé.

Ressortie du Final Cut le 19 mai 2021, réalisé par Robin Hardy, avec Edward Woodward, Christopher Lee, Diane Cilento, Britt Ekland

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