À la croisée du post-apo, du chanbara et du mecha, Yojimbot pourrait soulever quelques inquiétudes quant à son ambition de fondre ces différents genres en un récit cohérent et original, par-delà de la simple accumulation de références. La promesse est pourtant tenue par son auteur, ce dernier révélant même, après le Samuraï Jack de Tartakovsky, une parenté évidente entre le survivalisme mad-maxien, l’âpreté de la vie de samouraï, et le questionnement philosophique du récit robotique.
En 2241, dans un Japon post-apocalyptique, les hommes ont déserté la surface de la Terre, devenue inhabitable. Le monde qu’ils avaient construit n’est plus qu’un champ de ruines peuplé par des robots, et notamment par les Yojimbot, des robots-guerriers suivant le code des samouraïs. Contre toute attente, l’un d’eux tombe sur un père et son fils, Hiro, traqués par une bande de soldats et de drones-tueurs. Le Yojimbot décide alors d’intervenir, et au terme de l’affrontement, sauve l’enfant. Il va rapidement comprendre que de sa survie, dépend le sort de l’humanité toute entière…
Influences post-apocalyptiques
Yojimbot est le premier album de Sylvain Repos, jeune auteur biberonné aux délires graphiques d’Otomō et de Moebius, à la maestria chorégraphique des combats de sabres des films de Kurosawa et de Lone Wolf and Cub, mais aussi, « logiquement », à Star Wars, Mad Max et Blade Runner. Il est légitime de parler de « logique » pour caractériser ces différentes influences, tant celles-ci sont inextricablement liées. Otomō, créateur d’Akira, a effectivement été inspiré et révélé par Moebius, qui a lui-même influencé l’esthétique des films de science-fiction cités plus haut (surtout Blade Runner). Sans parler de l’influence cruciale des films historiques de Kurosawa (le scénario de La Forteresse Cachée, les transition en balayage de Yojimbo…) sur Star Wars épisode IV : Un Nouvel Espoir, ou bien du simple fait que Mad Max devait initialement s’appeler « Heavy Metal », version anglophone du magazine Métal Hurlant, co-fondé par Moebius. C’est en cela que l’univers graphique proposé par Yojimbot présente déjà une certaine « cohérence » thématique, et son auteur, même si on pourrait lui reprocher un classicisme un peu trop prudent, une parfaite maîtrise des codes qu’il réinvestit et synthétise.
L’épure classique du récit de samouraï…
Cette maîtrise se retrouve tout d’abord dans le découpage même du récit, et notamment de ses nombreuses séquences de combats. Le schéma, hérité de Kurosawa et du Lone Wolf and Cub de Kazuo Koike et de Goseki Kojima, est le suivant : 1) Gros plan sur un détail d’un environnement (une flaque d’eau, une fontaine, une branche d’arbre…) ; 2) Plan large sur l’environnement ; 3) irruption du personnage principal dans l’environnement ; 4) Rencontre du personnage principal avec un adversaire ; 5) Observation ; 6) Combat. Les 12 premières pages de l’album appliquent ainsi ce schéma à la perfection, leur fluidité étant telle que notre oeil glisse d’une case à l’autre avec une rapidité quasi instinctive. Les cases transversales s’enchaînent comme les coups de sabre dont elles épousent le mouvement, de telle sorte à ce que la forme entre pleinement en concordance avec le fond.
En dehors de ces séquences de combat, l’auteur ne se repose pas sur ses lauriers. Ses robots ne parlent pas, donc leur caractérisation passe presque exclusivement par leurs actions, et leurs « dialogues » par un langage des signes pour le moins primaire. Le mutisme propre aux personnages de samouraï est ainsi incarné dans la figure tout aussi mutique du robot. Une idée certes assez simple, et néanmoins diablement efficace. Repos avait d’ailleurs pris conscience de cette parenté pas si éloignée que cela entre la figure du robot et celle du samouraï avec le personnage d’Ogami Ittō (Lone Wolf and Cub), véritable « machine » à tuer à laquelle le Yojimbot emprunte de nombreuses caractéristiques.
Les enjeux de ce premier volume restent quant à eux assez simples : un robot rencontre un enfant pourchassé par d’autres robots et une troupe de militaires, le sauve et l’accompagne jusqu’à temps qu’il soit sain et sauf. Repos passe volontairement sous silence les véritables enjeux qui se cachent derrière la survie de l’enfant, réduisant ainsi son récit à l’essentiel : la survie. Ce choix est à la fois un gage de sécurité et une limite, l’album frôlant ici ou là la répétition ou l’impression de déjà-vu. Mais l’auteur arrive néanmoins à ponctuer son récit de quelques sursauts, plus ou moins bien maîtrisés, tantôt au travers de séquences de violence sacrificielle relativement durs, tantôt au travers de micro-séquence contemplatives ou de tendresse assez touchantes.
… face au foisonnement baroque du post-apo
Cette dureté est propre au genre du post-apo, qui, au travers d’une primitivité retrouvée dans le futur, devient un terrain vierge à nouveau investi par des forces de destruction bestiale. L’auteur n’hésite donc pas à concrétiser les fulgurances de violence de ses personnages dans des propositions graphiques relativement explicites : les corps sont coupés en deux, le sang coule des plaies, et les cadavres sont montrés gisant dans des flaques de sang. En cela, la gravité des enjeux n’est jamais sacrifiée sur l’autel du « cool » (même si les Yojimbot le sont fondamentalement), empêchant ainsi l’album de n’être q’une petite pastille pulp sans enjeux.
Cette tendance bienvenue du récit à la violence est néanmoins contrebalancée par le goût personnel de l’auteur pour la contemplation de mondes abandonnés. Le futur présenté dans Yojimbot s’inscrit en effet dans la droite lignée des futurs imaginés par la génération Métal Hurlant, bien résumés par la célèbre phrase de l’acteur Rutger Hauer à propos de Blade Runner : « the future is old ». Autrement dit, ce type de futur se définit en partie par le fait qu’il contient en lui les vestiges d’un présent plus ou moins proche, où la vie ne se déploie que dans des paysages laissés à l’abandon. Or, comme dirait Sylvain Repos lui-même, « l’abandon crée la beauté ». C’est ainsi que l’album nous donne à voir quantité de décors réinvestis par la nature et par les robots, si bien que l’épure de ces paysages un temps désertiques se voit enrichie par un foisonnement baroque assez passionnant à regarder. Sans tomber dans le gigantisme d’un Druillet, Repos nous montre, notamment au travers d’une amusante séquence de marché, quantité de robots différents, dont les designs brassent là encore quantité de références, sans pour autant tomber dans la facilité. Chaque détail a un sens, tant et si bien que chaque Yojimbot possède une silhouette qui le rend immédiatement reconnaissable, et surtout, nous l’avons dit, indéniablement cool. C’est ainsi que Sylvain Repos arrive à réinjecter de la vie dans des paysages qui n’aurait pu évoquer que la mort, et surtout, à remettre en question l’attribution de l’humanité aux humains eux-mêmes, face à des robots infiniment plus attachants et bienveillants qu’eux. Là encore, sans réinventer la roue, l’auteur s’en sort plutôt bien avec cette dimension de son récit, à partir du moment où il l’incarne par l’action et non par les dialogues.
En choisissant volontairement de ne pas révéler les us et aboutissants de ses enjeux, et donc de s’en tenir à une intrigue relativement simple, Sylvain Repos n’aurait pu signer qu’un coup d’essai sympathique, agréable mais sans grand intérêt. Son Yojimbot est pourtant un album prometteur, d’une part grâce à sa maîtrise de l’esthétique et des thématiques des genres qu’il invoque, et d’autre part grâce à son habile série de rebondissements dans le dernier segment du récit, qui lui confère d’ailleurs une valeur dramaturgique en soi. On attend donc vivement le tome 2, qui, on l’espère, saura doubler l’entrechoquement des sabres de ressorts émotionnels encore plus foudroyants.
