Avec plus d’une cinquantaine de films réalisés à son compteur, mais surtout plus de 200 au poste de producteur, Roger Corman a dominé le cinéma horrifique américain des années 50 jusqu’aux années 90, participant grandement à sa démocratisation. Baroudeur de l’horreur aujourd’hui reconnu par ses pairs, le nom de Roger Corman est devenu comme une institution, voire une icône du cinéma en général. Un cinéma fait avec de maigres moyens mais à l’ambition certaine, au point d’avoir réussi à forger une grande partie de la culture de la série B, que cela soit dans son esthétique, ses thématiques et son public.
Car en plus de ses films, sa légende vient surtout de sa faculté à repérer des talents en devenir, parmi lesquels on retrouve Joe Dante, Francis Ford Coppola, Jonathan Demme ou même Martin Scorsese, qui ont pu faire leurs premières armes à ses côtés. Une méthode parfaite pour les initier aux ficelles de la réalisation, tout en permettant de faire le plus d’économies possible, autre mot d’ordre qui définira la carrière du réalisateur, au point même d’en intituler son autobiographie « Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime ».
Et c’est justement cette dernière facette que nous allons revisiter ici, puisque la plateforme Mubi a publié dans son catalogue pour Halloween dernier trois films du début de la carrière du réalisateur, tout juste avant qu’il ne commence à toquer aux portes des studios. Un Baquet de Sang (1959), La Femme-Guêpe (1959) et La Petite Boutique des Horreurs (1960) : Trois films sortis dans un laps de temps très court (entre 1959 et 1960) mais qui ont forgé la réputation de Roger Corman. Des titres à l’essence purement horrifique, presque une convention pour toutes ces œuvres indépendantes des années 50/60, mais que Roger Corman va tenter de se réapproprier pour y ajouter une vraie patte reconnaissable.
Cette identit se distingue surtout par la manière dont le réalisateur traite justement l’horreur de ses sujets. S’il n’a écrit aucun des scénarios de ces trois films, il va réussir néanmoins à incarner l’horreur des actes commis par nos personnages d’une manière très caractéristique, qui va se retrouver sur une grande partie de sa filmographie, que cela soit en tant que metteur en scène ou même en tant que producteur. Conscient de ses faibles budgets pour effrayer et n’ayant pas la même inventivité qu’un William Castle, qui utilisera gimmicks en tout genre comme argument de vente de ses films, Roger Corman va s’orienter vers des récits proches de notre réalité mais souvent fantasques, misant sur une certaine forme d’humour pour toucher son public. Non pas un humour méta qui n’était de toute manière pas à l’ordre du jour à l’époque, mais plutôt un comique burlesque pour rendre ces instants de terreurs d’autant plus marquants, parfois même malgré eux.
PSYCHO-KILLER, QU’EST CE QUE C’EST ?
Premier film dans notre liste chronologique : Un Baquet de Sang, sorti fin 1959. On peut dire que la démarche humoristique de Corman était ici présente depuis le départ, puisque le film se présente d’emblée comme une satire très noire teintée d’éléments horrifiques. Plus précisément, il est question de la culture dite « beatnik », parodie de la Beat Generation, ici représentée comme une bande de jeunes drogués se complaisant dans un art abstrait dont eux seuls comprennent les tenants et les aboutissants. Sauf que Roger Corman et son scénariste Charles B. Griffith utilisent cette base satirique pour parler de l’enjeu de la création en rapport avec l’auteur, plutôt que de seulement dresser un portrait hautain et condescendant sur cette nouvelle tendance de l’époque. C’est ainsi qu’ils tentent de transcender la commande qui leur avait été demandée par le studio American International.
Par le biais du barman maladroit Walter, interprété par le regretté Dick Miller (grand ami et collaborateur de Joe Dante), nous plongeons dans ce milieu restreint de la plus macabre des manières. Comment ? Grâce à un chat. En effet, alors qu’il est rongé par le mépris envers ces jeunes artistes, seul chez lui et jaloux de leur créativité, Walter va par inadvertance tuer le chat de sa voisine et, plutôt que de reconnaître les faits, va décider de le recouvrir d’argile, créant une œuvre qui sera par la suite acclamée par tout le bar artistique où il travaille.
Attardons-nous sur cette fameuse scène de meurtre, puisqu’elle va être un bon moyen de comprendre comment Roger Corman arrive à allier à la fois une scène d’une cruauté assez morbide avec une légèreté purement comique, le tout afin de nous rendre les actes de Walter plus horrifiques encore. Tandis que nous avons fait la connaissance de la voisine de Walter, une vieille dame gaga de son chat Frankie, on le retrouve dans son appartement éclairé simplement par un luminaire vieillot, qui crée déjà une atmosphère lugubre et met en avant la vie précaire et solitaire de Walter. [1]
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C’est alors qu’entre en jeu un colis que vient de recevoir Walter, qui contient une grande quantité d’argile, qu’il compte bien dompter pour enfin pouvoir impressionner ses clients ainsi que son patron. Mais à peine commence-t-il à s’exercer que résonne le miaulement de Frankie, dont l’origine nous est inconnue mais qui va très vite croître en hurlements de plus en plus agressifs et prédominants. Un cri parasite qui va plonger Walter dans une rage teintée de désespoir, renforcée par la lumière qui creuse les ombres de son visage, lui donnant des allures presque monstrueuses. [2] Alors qu’il abandonne son chantier créatif pour aller chercher en urgence sa casserole en train de brûler sur la gazinière, il se cogne la tête contre le luminaire, le faisant vaciller. On peut au départ croire que ce choc n’est qu’une erreur sur le plateau mais il n’en est (à priori) rien. L’aspect imprévisible de cet éclairage va très justement former toute l’étrangeté du passage qui va suivre où, excédé et perplexe, Walter découvre que Frankie est en réalité bloqué dans le mur, sans réelle explication.
Tandis que la lumière ne recouvre désormais Walter que par intermittence, il décide de faire sortir le chat à l’aide d’un couteau. Mais évidemment, comme on peut s’en douter, il poignarde malencontreusement le chat dans l’opération. Jouant d’abord sur le hors-champ (on entend le chat crier mais on ne voit que le couteau planté dans le mur devant le regard effrayé de Walter [3/4]), Corman nous laisse néanmoins voir le cadavre, d’allure assez grotesque. Le manque de moyens nous fait inévitablement voir qu’il s’agit là d’un chat empaillé, mais la manière dont son cadavre nous est montré par cette seule lumière toujours vacillante, combinée à cette rapide succession d’absurdités diverses, arrive à l’éloigner progressivement du pur registre comique pour mieux évoluer vers celui du malaise. On ne sait plus vraiment quand rire, la musique redevient presque silencieuse, ne contient aucune sonorité humoristique, et la sensation va perdurer pour tout le reste de cette scène, qui finit sur cette vision dramatique de Walter attristé à son siège de bureau, le nez face au cadavre poignardé de Frankie [5] et à son tas d’argile qui ne lui servira pas, pense-t-il alors. Car après avoir tenté de s’endormir, hanté par les paroles des jeunes beatniks émises au début du film, Walter se réveille comme un zombie, prononce sans émotion certains bouts de phrases des jeunes, et se saisit d’un tas d’argile [6] tout en regardant le cadavre… Et l’on se doute de ce qui va s’ensuivre. L’ensemble de cette scène représente à merveille la manière dont Roger Corman, avec finalement très peu d’accessoires, utilise ingénieusement l’humour et surtout l’imprévisibilité absurde des actions de ses personnages pour mieux faire passer l’horreur de la situation, toujours à la frontière du vraisemblable. En filmant le tout avec distance et surtout en gardant un grand premier degré, il fait confiance à son public pour percevoir à la fois tout le caractère cynique de son histoire, mais également la folie progressive de son personnage principal, qui deviendra de plus en plus incontrôlable, aveuglé par la soif de succès jusqu’à sa fin tragique. Une constante qui perdurera et deviendra une marque de fabrique pour le réalisateur, notamment sur La Petite Boutique des Horreurs.
QUEEN B(EE)
Mais avant cela, il y a eu La Femme-Guêpe, tourné quasiment coup sur coup avec l’aide du réalisateur Jack Hill, qui gravitera lui aussi autour de la planète Corman pendant une bonne partie de sa carrière. Sauf qu’à l’inverse du film précédent, qui arrivait à détourner le cadre de l’horreur afin d’y apporter un message satirique, ce film-ci se plie nettement plus à la tendance du film horrifique/fantastique sans le sou, destiné au marché des drive-in et, plus tard, des rediffusions tardives à la TV américaine.
Autant être honnête et reconnaître que La Femme-Guêpe est sûrement aussi absurde que ce que son titre peut laisser présager, mais il n’en reste pas moins un cas intéressant dans la mise en scène de Roger Corman, qu’il perfectionnera bien mieux à l’avenir dans ses productions plus onéreuses. Car il faut bien le dire, son histoire d’une jeune entrepreneuse testant un produit à base de ruche de guêpes mais qui, à son grand malheur, va se transformer elle-même en guêpe sur pattes, n’est pas des plus passionnantes, en plus du fait qu’elle aurait largement pu donner lieu à un simple épisode de 30 minutes de La Quatrième Dimension. Mais ce qui va intéresser Corman ici n’est pas le développement de cette histoire mais plutôt sa thématique, qui va lui permettre de reprendre à sa manière et à son image le cinéma d’un autre réalisateur emblématique et trop peu cité dans l’histoire du cinéma d’épouvante : Jacques Tourneur.
Majoritairement connu pour avoir réalisé La Féline en 1942, le réalisateur français a construit son cinéma avec les mêmes bases que celles dont dispose Roger Corman, c’est à dire : rien. Alors réalisateur multi-tâches chez la RKO, chapeauté par le producteur Val Lewton, Tourneur va user le plus possible de son ingéniosité afin de créer l’effroi chez le spectateur, ce qui le conduira même à proposer l’un des tout premiers jump-scares de l’histoire du cinéma. Ses films accordaient une part prépondérante au mystère, laissant l’imagination du spectateur s’inventer une créature plus horrible encore que ce que Tourneur aurait été capable de matérialiser à l’écran. Et sur bien des aspects, La Femme-Guêpe peut s’apparenter à une sorte de reprise (certes, bien plus imparfaite) de La Féline. Tout d’abord thématiquement, nous y suivons là aussi une femme dominante revenant à une état animal et primitif, le tout au grand dam de ses proches. Mais c’est surtout en terme stylistique que Corman emprunte énormément au réalisateur français, notamment dans sa manière de suggérer une menace sans la montrer. Voire même trop, puisque sur les 1h12 du long-métrage, la bête ne fait son apparition qu’au bout de seulement 50 minutes, pour un résultat de 3mn à peine d’apparition à l’écran en tout. Inutile de dire que vous pouvez oublier les images apocalyptiques de la créature sur l’affiche d’exploitation, d’autant plus qu’elle ne ressemble en rien à celle montrée dans le film.
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Il n’empêche que pour marquer cette première apparition tant attendue et redoutée de la créature, Corman réinvestit beaucoup de la grammaire caractéristique de Tourneur, toujours dans cette même optique de créer un sentiment d’effroi chez son public. Nous voyons donc le docteur à l’origine du serum donné à l’héroïne être pris au piège au sein d’un laboratoire, tapi dans l’obscurité [1]. On retrouve cette même idée de noirceur encerclant les personnages déjà identifiée précédemment dans la séquence d’Un Baquet de Sang, mais cette fois-ci pour signifier la présence de la menace, à savoir celle de la fameuse femme-guêpe, que l’on sait imminente. Et c’est justement en reprenant la technique typiquement Tourneur-ienne des ombres formant la menace (elle-même héritée de l’expressionnisme allemand) que celle-ci s’incarne, cachée par les feuillages qui recouvrent la fenêtre. [2]
Un suspense qui sera toutefois vite occulté puisque aussitôt, après 50 minutes d’attente, la femme-guêpe s’attaque à l’homme et… oui, il faut le dire, le costume est franchement médiocre, même en remettant le film dans son contexte d’époque. [3] On est ici plus proche d’une serial killer ayant juste revêtu un masque de mouche pour commettre ses meurtres, que d’une mutation anthropomorphique en bonne et due forme. La Mouche de Cronenberg était encore loin… Mais ce gros souci technique n’est pas ce qui va empêcher Roger Corman de prendre son sujet au sérieux, bien au contraire, et le costume qui nous est montré peut totalement entrer en corrélation avec son idée d’humour impromptu en pleine scène d’horreur. Puisque si l’arrivée de la femme-guêpe prête à rire et est anti-spectaculaire au possible, la manière dont elle tue le docteur prend une tournure bien plus sombre. Après seulement quelques secondes de défense, Corman clôture sa (courte) scène sur un plan de la femme-guêpe mordant le cou de sa victime jusqu’au sang [4], plan qui surprend étrangement par son abondance d’hémoglobine (ainsi que par le fait que les guêpes ne mordent pas les gens comme des vampires, mais passons sur ce détail).
Là aussi, d’une autre manière que Un Baquet de Sang, Roger Corman utilise une base narrative comportant de nombreux éléments clairement absurdes, l’idée du film en tête, mais en la tordant de manière suffisamment sombre en dernière ligne droite pour la rendre marquante par son étrangeté. De même, pour palier au manque de moyens visuels, le mixage sonore se retrouve intégralement recouvert par un bourdonnement excessif à faire pâlir La Nuée, que l’on retrouvera à chaque nouvelle apparition de la créature. Une technique qui peut rapidement donner des maux de têtes, mais qui fait partie intégrante de toutes ces méthodes mises en places pour renforcer l’horreur de la situation, en la tournant avec un sérieux total et en ignorant tout son caractère comique et absurde, pendant laissé encore un fois au public.
L’accueil de La Femme-Guêpe a été négatif négatif, et l’est également de nos jours, mais par delà la vacuité de l’histoire qui nous est narrée, on peut néanmoins y déceler quelques éléments qui, à défaut d’être bons, sont au moins intéressants à interpréter pour les recontextualiser dans la carrière du réalisateur, qui aura encore affaire à des bestioles tueuses par la suite. Et puis ça nous a donné une excuse pour parler un peu de Tourneur, ce qui n’est jamais une mauvaise chose.
SILENCE, CA POUSSE
La machine Corman étant ce qu’elle est, à savoir toujours étonamment rentable, ce n’est pas un échec comme La Femme-Guêpe qui va stopper sa carrière. Au contraire même, puisque son film suivant, La Petite Boutique des Horreurs, sera celui qui va lui ouvrir les portes d’une reconnaissance certaine auprès de l’industrie, qui lui permettra notamment de proposer un florilège d’adaptations de Edgar Allan Poe, qui débutera la même année avec La Chute de la Maison Usher (1960).
Pour autant, La Petite Boutique des Horreurs n’a pas été son film le plus facile à tourner. Car si Un Baquet de Sang avait pu bénéficier de 50 000$ de budget et de cinq jours de tournage, ce film-ci n’a bénéficié que de 25,000$ et de seulement deux jours de tournage. La raison à cela étant que Roger Corman avait décidé de monter le projet en urgence à la fin de l’année 1959, de sorte à pouvoir le tourner avant la nouvelle syndication d’acteurs qui allait tomber sur Hollywood, qui obligeait les producteurs (et Corman en était un) à devoir payer des recettes sur leurs films à l’ensemble du casting. Soit : un modèle économique potentiellement fatal pour sa structure. De ce fait, par souci d’économie, La Petite Boutique des Horreurs partage énormément de choses avec Un Baquet de Sang, au point d’être presque considéré comme sa suite spirituelle. Certains décors sont réutilisés, et la majorité de son équipe revient, comme le scénariste Charles B. Griffith, ainsi que de nombreuses têtes du casting (déjà récurrentes par le passé chez Corman) comme Dick Miller ou Barboura Morris. Même narrativement, on retrouve une trame similaire puisqu’il est question d’un employé méprisé à son travail, prenant sa revanche sur son propre terrain en devenant malgré lui un tueur en série. Sauf que l’histoire de Boutique s’éloigne heureusement de celle de Un Baquet de Sang, car nous avons affaire ici à une étrange plante carnivore que notre jeune héros Seymour va ramener chez le fleuriste pour qui il travaille, et qui va commencer à attirer la curiosité du quartier malgré sa dangerosité croissante.
Vous l’imaginez bien, Seymour va devenir malgré lui le principal fournisseur de nourriture de sa nouvelle curiosité incontrôlable, et tout comme Walter dans Un Baquet de Sang, cette destinée s’annoncera à lui de manière bien imprévue et tout aussi morbide. Une fois de plus, tout commence en pleine nuit noire, cette fois en extérieur, au bord d’une voie de chemin de fer. Après avoir découvert que sa plante est désormais dotée de parole suite à quelques gouttes de sang ingérées, celle-ci lui réclamant désormais de la nourriture, il quitte la boutique pour réfléchir. Déjà dès ces premiers instants de discussion entre Seymour et sa plante, on retrouve cette même idée d’absurde traité au premier degré, laissant le public « intrigué », voire ébahi. Sauf que là encore, ce n’est qu’après que le drame macabre va se produire, et véritablement bousculer le potentiel comique de la situation.
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Alors que Seymour jette un caillou en direction d’une bouteille en verre, qui semble comme éclairée par une lumière divine [1], il rate son coup et assomme un homme se trouvant justement sur le chemin de fer. Déjà depuis le début du film mais encore plus ici, la manière dont le personnage de Seymour bouge et agit, tentant de sauver maladroitement l’homme sur la voie, rappelle énormément un comique de mouvement hérité d’un Buster Keaton, et permet de créer une distance face à la cruauté qui va logiquement suivre, à savoir observer cet homme écrasé par un train devant ses yeux [2].
Un jeu uniquement de gestes et non plus de mots donc, les paroles étant ici entièrement recouvertes par les cris d’effroi de Seymour ainsi que par la sirène du train, qui ajoute un aspect cacophonique à cette scène d’horreur aussi grossière que soudaine. Jouant évidemment sur le hors-champ, on reste ici sur de l’horreur sans aucun artifice fantasque, mais qui sera pourtant suivie par une série de scénettes à l’humour noir explicite, notamment lorsque Seymour tente vainement de se débarrasser du cadavre rangé dans un sac de toile [3]. C’est une fois revenu au magasin, toujours le cadavre dans son sac, que s’engage une véritable première « conversation » entre Seymour et sa plante, malgré le vocabulaire limité de cette dernière, qui parle tel un enfant affamé en bas âge [4]. Et par son insistance, malgré les réticences de Seymour, ce dernier décide de sauver sa peau en bravant son honneur et en acceptant de donner le cadavre à manger à sa plante, ce qui ne le fera que grandir davantage dans la suite du récit.
Aidé par sa plante aux effets minimalistes et à la voix singulière, Roger Corman parvient contre toute attente à rendre cette discussion vraisemblable malgré son absurdité, alors qu’une fois encore, l’idée paraissait totalement incongrue sur le papier. Mais Corman dispose « du » plan symbolique marquant la rupture de ton entre humour et horreur, en l’occurrence par le biais du personnage du patron de Seymour, qui l’observe par mégarde depuis l’extérieur et devient par cons »quent témoin de ses agissements, alors que lui-même est en train de pleurer face à ce qu’il commet [5/6]. On retrouve là encore ce motif de la narration montrée comme comique, mais qui est instantanément désamorcée par un autre plan nettement plus sombre, qui nous apporte un regard extérieur sur ce que nous sommes nous-mêmes en train d’observer. Cette démarche permet aussi au public de rire de la situation tout en prenant en considération la cruauté de ces personnages dont il rit. Une dichotomie entre deux tonalités, que l’on retrouvera par ailleurs durant tout le film, vraie critique d’un mercantilisme avide de succès au dépend de la dangerosité de sa source de revenu. La scène finale en est un symbole d’autant plus fort du fait de sa beauté comique et de sa noirceur.
A la manière de la plante toujours plus grande et réclamant toujours plus de nourriture, La Petite Boutique des Horreurs est ce qui va propulser Roger Corman dans les noms phares du cinéma bis américain. S’il reste son film le plus connu, sa filmographie a su conserver cette diversité, ou tout du moins cette authenticité dans la manière de mettre en scène des histoires déjantées. Le tout étant systématiquement caractérisé par cette passion communicative pour le genre et ses folies, toujours traitées avec respect, même pour de simples films voués à combler les séances de « double-features ». Roger Corman aura par ailleurs toujours affirmé au cours de sa carrière tenir à des histoires misant avant tout sur de l’action, reléguant les état d’âmes de ses personnages en arrière-plan. Et en quelque sorte, dans sa manière de filmer ses personnages, et notamment leur balancement entre cruauté et naïveté, on se rend compte qu’il cherche surtout à utiliser l’action comme vecteur de ces états d’âmes.
Avec ces trois films emblématiques, Mubi vous et nous permet de remettre dignement en lumière un réalisateur dont la carrière a pu être moquée, notamment dans la suite de sa carrière en tant que producteur, mais qui est désormais légitimement considérée comme essentielle dans l’histoire du cinéma d’horreur. Et croyez-nous, malgré toutes ces lignes et les a-prioris que vous pourriez avoir, vous risquez encore d’avoir quelques surprises dans vos visionnages…