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Bob l’éponge : recette d’un succès

Difficile aujourd’hui d’ignorer l’existence de Bob l’éponge. Les dernières saisons du dessin animé sont arrivées sur Netflix, le merchandising est énorme et le succès ne faiblit jamais, au point que Barack Obama a lui-même déclaré que Bob était son personnage fictif préféré. Nous revenons, à l’occasion de la sortie du troisième long-métrage consacré à l’enthousiaste éponge carrée, sur l’origine et l’univers de cette série si particulière.

Qui vit dans un ananas dans la mer ?

Bob l’éponge est une série d’animation, créée par Stephen Hillenburg, et diffusée pour la première fois le 1er mai 1999 sur la chaîne Nickelodeon. Son titre original est SpongeBob Squarepants soit Bob l’éponge au pantalon carré. La série met en scène le personnage de Bob, une éponge de mer ayant l’apparence d’une éponge industrielle, qui vit « dans un ananas dans de la mer » (pour reprendre le thème du générique français), non loin de la ville de Bikini Bottom. Il travaille en tant que chef cuisinier dans le restaurant du Crabe croustillant, a pour meilleur ami une étoile de mer nommée Patrick, et a pour animal de compagnie un escargot qui miaule nommé Gary.

Le regretté Stephen Hillbenburg, décédé en 2018 de la maladie de Charcot, avait comme particularité de disposer d’un double cursus : il était diplômé en animation expérimentale du California Institute of Arts, et diplômé en sciences naturelles de l’Université d’Etat de Umboldt. Il fut, dans un premier temps, professeur de biologie avant de retourner sur les bancs de l’école, pour suivre des cours d’animation. De sa première formation, il retient une connaissance de la faune et de la flore maritime, un sujet qui le passionne depuis son visionnage des films de Jacques-Yves Cousteau. Il confie, à ce sujet, dans le documentaire Square Roots : The Story of SpongeBob SquarePants (réalisé par Patrick Creadon en 2009) : « c’était comme regarder une autre planète »… Il ne sait alors pas qu’il créerait, quelques années plus tard, un dessin animé mettant en scène cette autre planète avec tout l’imaginaire que l’ont peut inventer avec.

Extrait de « The Intertidal Zone » (1984-1987), bande dessinée éducative dessinée par Hillenburg

La conception de Bob l’éponge et le parcours de Stephen Hillenburg sont intrinsèquement liés. Lorsque Hillenburg entre chez Nickelodeon et commence à travailler sur sa propre série d’animation, il imagine une éponge de mer en ayant en tête le véritable animal porifera, de son nom scientifique. Cet animal était déjà présent dans un comics de sa création intitulé The Intertidal Zone (1984-1987), dans lequel une éponge de mer nommée Bob, toute ronde et vêtue de lunettes de soleil, interagissait avec d’autres animaux marins. Avec le temps, l’éponge de mer plus ou moins réaliste se transforme en éponge de mer carrée. C’est suite à ce comics que Hillenburg décide de se lancer dans une carrière d’animateur et rejoint le « Programme d’Animation Experimentale » de la mythique école « CalArts », où il réalise ses premiers courts-métrages. Il y a d’abord The Green Beret (1992), qui préfigure déjà quelques traits caractéristiques de Bob l’éponge. C’est une satire de la télévision avec des arrières-plans volontairement simplistes des gags avec une outrance presque agressive. Il y a ensuite Wormholes (1992), un court-métrage d’animation punk et surréaliste, à mi-chemin entre Salvador Dalí et Dr. Seuss, qui s’amusait à mettre en scène la théorie de la relativité du temps au travers du point de vue d’une mouche.

Ce film marque tellement les esprits qu’il se voit récompensé du prix du « Meilleur Concept » au Festival International d’Animation d’Ottawa la même année. C’est lors de cet événement que Hillenburg rencontre l’animateur Joe Murray, qui l’emploiera dans son propre studio quelque temps plus tard. Ils collaborent, l’année suivante, sur Rocko’s Modern Life (1993-1996), création de Murray pour Nickelodeon, mettant en scène un groupe d’animaux anthropomorphiques dans des histoires surréalistes, pleines de sous-entendus et de doubles lectures. C’est cette spécificité qui amène la série à se constituer un public adulte et une réputation d’oeuvre culte, comme le deviendra par la suite Bob l’éponge.

D’abord scénariste, « executive story editor » et animateur sur les deux premières saisons, Hillenburg devient ensuite réalisateur et producteur à partir de la troisième. En 1996, lorsque la série s’achève, Martin Olson, un des scénaristes, tombe sur un exemplaire de The Intertidal Zone. Il encourage vivement Stephen Hillenburg à en faire sa propre série animée : deux ans plus tard, l’animateur fonde sa propre société de production, United Plankton Pictures. Il forme une équipe d’animateurs essentiellement à partir de celles de Rocko’s Modern Life, et développe alors le concept de Bob l’éponge, dont le première épisode est diffusé le 1er mai 1999 sur Nickelodeon. La série, aujourd’hui toujours en cours, en est à sa treizième saison.

Un des premiers dessins conceptuels de la série

Le premier long-métrage Bob l’éponge sort en 2004, est réalisé par Stephen Hillenburg lui-même, et obtient un relatif succès au box-office. À la suite de cela, Hillenburg cède les rênes de son bébé à Paul Tibbitt, qui devient alors le showrunner de la série. Il scénarise 54 épisodes du dessin animé et en réalise 90. Ce dernier réalise ensuite le deuxième long-métrage, Bob l’éponge – le film : un héros sort de l’eau, sorti en 2015. Enfin, le décevant troisième long-métrage de la franchise, Bob l’éponge le film – éponge en eaux troubles, sorti en 2020, est réalisé par Tim Hill, storyboarder et scénariste occasionnel de la série.

La série connaît rapidement un bon petit succès et ses nominations sont nombreuses. Elle a été nommée huit fois au Emmy Awards et, parmi ses nominations, a été une fois lauréate. Bob l’éponge a aussi connu plusieurs supports : de l’animation 2D la plus classique pour la série à la 3D à partir du deuxième film, en passant par deux épisodes d’Halloween et de Noël en stop-motion (par le studio Screen Novelties) et quelques prises de vues réelles pour les long-métrages. Aujourd’hui, la série est traduit en 25 langues différentes.

Au niveau de la version française, on retrouve Sébastien Desjours dans l’interprétation de Bob l’éponge et le regretté Erik Collin suivi de Boris Rehlinger dans le doublage de Patrick l’étoile de mer.

Une micro-société

Depuis les prémices de Bob l’éponge, Stephen Hillenburg évoquait l’idée d’une autre planète, comme on peut parler d’un autre monde. Il imaginait des mécanismes humains dans le monde établi de la flore et de la faune maritime.

Le microcosme marin dans lequel évolue Bob l’éponge et ses comparses se transforme bien vite en micro-société, dans laquelle chacun joue un rôle plus ou moins (parfois surtout moins) important. Les animaux, représentés sous des formes anthropomorphes, vivent dans des maisons faisant plus ou moins référence à leur habitat naturel, de Bob dans son improbables ananas au rocher de Patrick, en passant par la statue de Pâques de Carlo Tentacule. Chaque personnage a ses propres caractéristiques : Bob est la bonne pâte, qui aime tout le monde (mais que tout le monde n’aime pas), Patrick est le gentil idiot du village, Krabs est le patron qui aime un peu trop l’argent, Carlo est le mauvais artiste, qui est persuadé que le destin est contre lui alors qu’il n’a tout simplement aucun talent. Sandy l’écureuil est la scientifique qui crée sans cesse de nouvelles choses, Plankton est le jaloux envieux, prêt à tout pour voler la recette du pâté de Krabs… Les enjeux scénaristiques reposent ainsi sur ce petit ordre établi entre les personnages. Quant aux autres citoyens de Bikini Bottom, ils sont pour la plupart représentés en poissons, symbole d’anonymat, mettant en valeur les personnages principaux qui se distinguent par leur appartenance particulière à d’autres espèces.

La ville de Bikini Bottom est organisée comme une ville humaine, avec ce qui semble être des quartiers résidentiels (Bob, Patrick et Carlo habitent dans la même rue) et deux restaurants gérés par Eugène Krabs, patron de Bob, et Plankton, l’antagoniste principal. Dans un épisode de la saison 7, Bob fait face à un problème très humain : il devient persuadé que Krabs souhaite le licencier alors que son travail de cuisiner est toute sa vie. Il se lance à la recherche d’un autre emploi et écume les possibilités de Bikini Bottom, une ville qui s’agrandit au gré des envies de l’épisode. Dans l’épisode suivant, Carlo Tentacule fait face à des ordures envahissantes et doit effectuer, à la suite d’un quiproquo, des travaux d’intérêts généraux et nettoyer la ville. La dimension quasi « sociale » de la série est ainsi l’un de ses aspects les plus fondamentaux.

Les objets et habitudes du quotidien des humains ne sont pas en reste comme le rappelle le documentaire Square Roots: The Story of Spongebob Squarepants de Patrick Creadon : Bob utilise une méduse en guise de pie de vache. La faune et la flore marine deviennent le reflet de la vie terrestre.

Si Bob est excessivement enthousiaste, Carlo est, lui, sarcastique. Il possède tout ce que Bob n’a pas : une notion d’ego surdimensionné, une mélancolie et une profonde lassitude de tout ce qui l’entoure. Contrairement à Bob, Krabs a, lui, les pieds sur terre et apprécie la valeur de l’argent, là où Bob travaille pour son plaisir personnel. Enfin, Plankton n’est qu’envie et jalousie, et s’inscrit dans un hilarant rapport de soumission avec Karen, sa femme-robot. Bob et Patrick sont à part, ils ne sont ni cupides ni envieux. Le seul défaut de Patrick est son absence constante de réflexion et celui de Bob est sa naïveté. Ils sont profondément inoffensifs et évoquent l’innocence, le retour en enfance à laquelle les adultes, dans l’imaginaire commun, aspirent.

Comme dans la plupart des cartoons produits à la fin des années 90 (notamment ceux diffusés sur Cartoon Network), Bob l’éponge va se constituer un public adulte mais aussi un public de « stoners » (ou « personnes consommant des substances psychotropes », pour rester français). Ces derniers se montraient particulièrement réceptif face à la puérilité de Bob et Patrick, ainsi qu’à leurs délires colorés. C’est également le cas du premier film, qui a acquis entre temps le statut d’oeuvre culte, notamment au travers de la fameuse séquence des bulles…

Un héros cartoonesque

Bob l’éponge est, à l’origine, une série d’animation qui s’adresse aux enfants de 7 ans et plus, selon le barème français, bien qu’Allociné indique que le premier film peut correspondre aux enfants à partir de 3 ans. Quoiqu’il en soit, c’est une série qui, pour l’œil de l’enfant, se dessine déjà comme absurde à partir du moment où il identifie Bob comme étant une éponge industrielle, n’ayant pas sa place dans le milieu marin. L’œil de l’adulte, plus aiguisé, fera le lien entre les éponges de mer et l’apparence industrielle de Bob, mais pourra être conquis par la patte humaine apporté au personnage qui, à sa conception, collait déjà à un caractère intrinsèquement anthropomorphe. L’éponge de mer devenue éponge industrielle laisse place à toute l’imagination possible avec sa tête, son corps. Dans un épisode, Bob absorbe toutes les ordures de Bikini Bottom dans son corps. Dans un autre, il encaisse des coups sans ne rien ressentir grâce à une peau totalement élastique. On retrouve, à travers le corps malléable de Bob, un humour slapstick mais sans douleur. Bob l’éponge est, en somme, un cartoon : il subit des coups exagérés sans conséquence (on ne voit, ici, même pas de douleur) et l’imagination règne dans ce royaume – au point d’être devenu un meme.

Le personnage de Bob est extrêmement naïf et enthousiaste, ce qui a le don d’en agacer certains. C’est un petit être asexué, n’en déplaise à la commission nationale de l’Ukraine qui a envisagé d’interdire la série sous prétexte que l’amitié entre Bob et Patrick faisait l’apologie de l’homosexualité. La question s’est également posée outre-Atlantique, devenant l’objet de plusieurs blagues à ce sujet, autant pour l’ambiguïté de la situation que par son caractère absurde. On retrouvait, dans les éléments qui faisaient de Bob et Patrick un couple, une scène de Bob déguisé en femme, tenant un landeau en compagnie de Patrick, l’image des deux amis en string noir et, summum de l’imagerie homo-érotique : Bob et Patrick surmusclés, faisant de la lutte, avant de s’étreindre.

Aucune romance ne fait l’objet d’un fil conducteur dans Bob l’éponge. Bob l’éponge est également un dessin animé mixte, Bob peut être genré au masculin mais son statut d’éponge ne fait pas de lui un garçon à proprement parler. Le principal personnage féminin est sans doute Sandy l’écureuil, qui bouscule un peu les à priori que peuvent avoir les filles dans les séries pour enfants des années 2000. Sandy est une inventrice et n’est jamais définie par son genre. Dans un épisode, Sandy voit sa fourrure être volée et doit se promener nue, ce qui fait que tout le monde se moque d’elle. Cette mésaventure n’entraîne aucune sexualisation et joue sur la façon dont les enfants appréhendent la nudité. C’est « la honte » d’être tout nu, à cet âge là où on vient d’apprendre qu’on ne pouvait pas se déshabiller en public et que c’était une chose étrange, réservée aux bébés. Là où certains dessin-animés genrent très vite leurs personnages (on peut surtout penser aux licences pour les petites filles comme Winx Club), Bob l’éponge persiste à imaginer un monde sans toutes ces questions, dénué de romantisme.

De l’enfance à l’absurde

L’humour, dans Bob l’éponge, est souvent absurde, provoqué par la naïveté exacerbée du petit héros. Mais il n’y a jamais de cynisme ou de cruauté dans le regard porté sur le personnage. Bob entraîne des situations désastreuses sans jamais se départir de son sourire et de sa bonne humeur presque ridicule. C’est un personnage exagérément solaire. On ne peut que s’en moquer gentiment car Bob l’éponge n’est pas une série qui utilise la méchanceté ou lorsqu’elle le fait, la détruit très rapidement par l’amour exagéré que Bob entretient envers chaque personnage. Les plus négatifs comme Carlo ou Plankton, sont représentés comme étant finalement faibles, mais Bob continue à les aimer, un peu comme l’enfant va apprécier l’antagoniste d’une fiction.

Bob l’éponge est un savant mélange de plusieurs humours et d’aventure. Il offre un large panel de possibilités, ce qui a donné des films tout à fait différents. Le premier qui, on le rappelle, est l’œuvre de Stephen Hillenburg, contenait déjà, dans ses scénaristes, Paul Tibbitt et Tim Hill. L’œuvre était particulièrement fidèle à la série : elle disposait d’un univers enfantin, avec la naïveté qu’on lui connaît, propre au personnage de Bob. Les adultes n’étaient pas en reste, notamment avec un caméo de David Hasselhoff.

Le deuxième film, réalisé par Paul Tibbitt et Mike Mitchell V (Shrek 4, Alvin et les Chipmunks 3…) était un peu différent puisqu’il s’appuyait sur tout ce que la série pouvait proposer d’absurde. Ainsi, Bob l’éponge rencontrait un dauphin chargé de surveiller l’univers tout en rêvant d’enfin pouvoir prendre une pose pipi. On retrouve les racines « stoner » de la série, dans lesquelles le sucre remplace la drogue. Les yeux de Bob rappellent également là encore la consommation de psychotropes : ils prennent des allures exagérées, ses pupilles se dilatent et se rétractent sans cesse…

Le troisième film, cette fois réalisé par Tim Hill, avait la lourde tâche de succéder à ces visions de la série, tout en proposant ce qu’il faut de nouveautés pour fonctionner. On retrouvait les mêmes attachements aux caméos avec notamment Keanu Reeves et Snoop Dogg. Ce dernier, connu pour son ouverte consommation de cannabis, vient davantage appuyer l’esprit stoner de la série, mais ne compense en rien le manque criant d’originalité du film, qui n’apporte finalement pas grand-chose de plus comparé à ses prédécesseurs.

C’est grâce à ce joyeux mélange d’humour, d’aventure, d’absurde, mais un soupçon d’agressivité, une dose de bienveillance, pas mal surréalisme et énormément (c’est le cas de dire) de régression, que le cartoon créé par Stephen Hillenburg est devenu un tel phénomène de société. Bob l’éponge s’est inscrit dans le paysage de la pop culture occidentale.

SOURCES

Creadon (P), Square Roots: The Story of Spongebob Squarepants (2009)

https://www.indiewire.com/2015/02/immersed-in-movies-paul-tibbitt-talks-the-spongebob-movie-sponge-out-of-water-123607/?fbclid=IwAR1ER5VtLwaZXg4Xb4i_izokf_kdwtz4oXnrBoGO1IsCu9rXJnxtUpmuMFI

https://www.lambiek.net/artists/h/hillenburg_stephen.htm

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