Depuis Fleabag et I May Destroy You, on sait désormais que le futur de la télévision britannique s’écrira au féminin. Acclamées par la presse et le public, les séries de Phoebe Waller-Bridge et Michaela Coel n’ont pas simplement permis l’éclosion de deux des voix les plus importantes du petit écran, elles ont également mis au premier plan des récits rarement vus jusqu’ici à la télévision anglo-saxonne. Des séries audacieuses où le chaos intérieur de leurs héroïnes n’était pas qu’un enjeu de narration, mais aussi formel (rupture du quatrième mur pour Fleabag, travail sur les temporalités dans I May Destroy You). Moins clinquante que ses aînées, This Way Up n’en reste pas moins un complément passionnant à ces deux programmes. Ici, le spectateur est invité à suivre Aine, une professeur d’anglais qui sort tout juste d’un séjour en centre de réhabilitation après une rupture amoureuse douloureuse.
En 6 épisodes formidables de clarté et d’efficacité, cette série créée par l’humoriste irlandaise Aisling Bea explore le thème de la dépression sans détour. Elle est présente au quotidien, sous couvert d’un humour noir, et émerge à des instants très précis, quand Aine n’a plus que sa détresse comme seul compagnon de route. Sous un emballage qui se veut pop et actuel, notamment via sa bande-originale sous inspirations reggaeton, c’est cette volonté de se recentrer vers soi, ses angoisses et le banal, qui donne une teneur singulière à This Way Up. L’écriture de la série installe une atmosphère faussement enjouée. Aine parle beaucoup, énormément, incapable de ne pas conclure une phrase sans y insérer une blague. Comme pour vaincre son propre malaise, le silence y est un élément systématiquement banni mais lorsqu’il s’installe, il est pesant, immédiatement marquant.
Quasiment dépourvue de péripéties, cette première saison se regarde comme un long pilote d’un peu plus de trois heures, où la showrunneuse crée une rencontre entre le spectateur et l’univers d’Aine. En ce sens, l’entourage du personnage a une part très importante dans la série. Si la sororité avait déjà été explorée dans Fleabag, elle l’est encore plus ici, avec un personnage de soeur ainée brillamment incarnée par Sharon Horgan (elle-même productrice de la série). A l’inverse de Aine, sa vie semble être tranquille et solide. Mais l’écriture d’Aisling Bea va venir gratter ce vernis pour faire émerger les incertitudes, l’intranquilité qui sommeille en elle.
Progressivement, c’est tout le monde de l’héroïne qui va devoir faire son auto-critique et reconsidérer son passé, pour lui-même devenir meilleur. « Ce n’est pas un homme qui va me guérir », lâche Aine à sa mère lors du quatrième épisode. Dans cette phrase anodine, assez évidente dans ce qu’elle symbolise, il y a en réalité toute la mélancolie contenue de This Way Up, et peut-être la plus belle des morales pour notre monde à nous : ce n’est pas parce qu’un univers s’effondre qu’il doit être reconstruit comme tel, ou du moins travaillé du même matériau. La deuxième saison, déjà confirmée, nous dira si l’on a bien raison de croire dans cette très jolie série.
Disponible sur MyCanal, écrite par Aisling Bea et réalisée par Alex Winckler, avec Aisling Bea, Sharon Horgan, Tobias Menzies, Aasif Mandvi

Une réponse sur « Critique – This Way Up (Aisling Bea, 2020) »
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