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Critique – The Crown, saison 4 (Peter Morgan, 2020)

Au regard de sa quatrième saison, The Crown est à un moment charnière de son existence. D’une part parce qu’elle présente les derniers épisodes d’Olivia Colman en reine Elisabeth II avant qu’Imelda Staunton ne prenne la relève, et d’autre part au travers de la période historique qu’elle retrace : les années soixante-dix, entre déchirement politique et dissensions intimistes.

Côté politique, on parle bien entendu de l’arrivée de Margaret Thatcher à Downing Street. Pour la première fois de son histoire, deux femmes sont à la tête du Royaume-Uni : un moment d’espoir qui tournera pourtant vite au cauchemar. Austérité, chômage de masse, violentes répressions, guerres… La relation entre la Couronne et la Dame de fer, jouée par Gillian Anderson, est mise à rude épreuve. Si seulement ce n’était que cela. Car du côté de la royauté, le Prince Charles n’a toujours pas trouvé chaussure à son pied. Enfin si, il y a bien Camilla, mais il ne peut pas l’épouser, alors on lui préférera la jeune Diana Spencer (Emma Corrin), dont la splendeur et la spontanéité trancheront radicalement avec le stoïcisme apparent de la famille royale.

Vous l’aurez compris, il sera donc question de scission, à travers cette quatrième saison de The Crown. Plus que jamais, la fracture entre la famille royale et le monde réel se fait ressentir, jusqu’à même éclipser la reine Elisabeth. Car les véritables stars de cette saison ne sont pas Olivia Colman ou Helena Bonham Carter (qui joue la princesse Margaret), mais bien Emma Corrin et Gillian Anderson. Est-ce pour autant un défaut ? Loin de là.

On pouvait déjà s’attendre à cette vision d’une Couronne sous pression, ne serait-ce qu’au travers des visuels promotionnels publiés par Netflix. Honnêtement, j’ai longtemps cru que les affiches étaient mal cadrées, puisque la première et la dernière lettre de “crown” apparaissent légèrement coupées, autant sur l’affiche principale que sur les posters personnages. Il est d’autant plus intriguant de voir que sur l’affiche principale, la Reine Elisabeth se voit comme écrasée, d’un côté par la Princesse Diana, de l’autre par Margaret Thatcher. En somme, ce titre coupé colle parfaitement avec cet esprit : celui d’une reine dépassée par les événements, dont l’autorité se voit sapée par celle de la Première Ministre, et la prestance par celle de sa belle fille…

C’est comme si tout un monde s’effondrait : celui de la royauté, établi depuis des siècles, qui se voit rattrapé par le réel. Parce que Diana et Thatcher ont laissé leur empreinte sur l’histoire du Royaume-Uni alors qu’elles étaient des nobodies, pas non plus des parvenues, mais du moins des personnes totalement étrangères à ce système. Et telle est l’impression que nous donne cette quatrième saison de The Crown : Olivia Colman se trouve bien souvent reléguée dans l’ombre, autant déconnectée de ses sujets que de sa propre famille. Tout le monde est au courant des troubles que rencontrent le Prince Charles et Diana, sauf elle. Tout le monde est au courant de ce que provoque la politique d’austérité de Margaret Thatcher, sauf elle. 

Ce n’est que lorsque le réel vient rattraper la reine, parfois avec force, qu’elle prend conscience des choses. Nous pourrions prendre l’exemple de ce moment de l’épisode 4 où elle se confronte à chacun de ses enfants, alors que Thatcher n’a aucun scrupule à affirmer lequel des siens est son favori. Ou bien l’épisode 5, où la reine est victime d’une invasion dans sa propre chambre par Michael Fagan, chômeur tourmenté par une vie de famille difficile, parvenu à s’infiltrer à deux reprises à l’intérieur de Buckingham Palace, jusqu’à s’entretenir directement avec elle pendant une dizaine de minutes. Ces deux figures que tout oppose finissent pourtant par s’apprivoiser, et à se rapprocher peu à peu, comme le souligne la mise en scène de Paul Whittington. D’abord très éloignés dans un même plan large, la Reine toujours dans son lit et Fagan au loin, ils finissent par dialoguer chacun dans un fauteuil, en champ/contre-champ, ce qui, par les seuls ressorts de la mise en scène inclut déjà une certaine formalité à leur rencontre. Les deux échangent ensuite sur la manière dont Margaret Thatcher a radicalement divisé la nation, avant de terminer leur discussion sur un geste d’union : celui de leurs mains entrelacées, en gros plan.

Les multiples entrevues entre la Reine et Margaret Thatcher sont aussi l’un des véritables atouts de la saison, autant pour la manière dont Peter Morgan fait s’écharper ses personnages que par l’interprétation de leurs actrices respectives. Olivia Colman n’a définitivement plus rien à prouver : ses prestations dans La Favorite (Yorgos Lanthimos ; 2018) et dans la troisième saison de la série (2019) pour lesquelles elle a été multi-récompensée en témoignent (et ses discours de victoire un peu pompette aussi). Pour Gillian Anderson en revanche, c’est une autre paire de manches. Parce qu’elle en avait plein, des manches, la Margaret, avec ses tailleurs de couleur pétaradante. Passer d’une sexologue sans aucun tabou dans Sex Education à l’incarnation même de la rigidité, ça n’est pas donné à tout le monde…

Qu’il s’agisse de sa voix, de sa gestuelle ou de son apparence, tout rend l’interprétation de Gillian Anderson détestable. Oui, c’est le mot. Mais pourquoi ? Parce qu’on a parfois l’impression de la voir dans un costume d’Halloween ou dans une mauvaise parodie ? Parce qu’elle semble en faire des caisses ? Au début, il y avait de quoi tiquer un peu. Puis, à force de revoir des extraits de véritables discours de Margaret Thatcher, des images de cette chevelure bombée de trois tonnes et demi de laque par jour, on comprend mieux. Oui, Thatcher était détestable, et Gillian Anderson retranscrit brillamment cette image. Notons également l’aide cruciale des petites mains non négligeables sur une telle série (et dont on aura l’occasion de reparler plus tard), qui sont celles de la coiffure, du maquillage et des costumes. Dans une interview à Harper’s Bazaar, l’actrice indique que selon elle, elle a porté deux types de perruques ; une pour chaque partie de saison. Peu à peu, sa blondeur s’affadit, son personnage s’enlaidit, se rabougrit même, alors qu’elle se voit poussée comme on le sait vers la sortie. 

Pourtant, sa première rencontre avec la Reine était pleine d’espoir : c’était alors la première fois que le pays se voyait gouverné par deux femmes. Une idée vite balayée lorsque, quelques instants plus tard, Thatcher confesse qu’elle trouve les femmes “trop émotives” et qu’elles ne sont pas destinées “aux hautes fonctions”, comme en témoigneront ses photos de cabinet où elle trône, seule femme au milieu d’hommes, et cantonnée aux tâches ménagères lorsqu’on la voit dans son intimité. Plus les entretiens entre les deux femmes de pouvoir défilent, plus la tension se lit, du refus de Thatcher de condamner l’Apartheid en Afrique du Sud et de faire front avec le Commonwealth (épisode 8), à son départ de Downing Street (épisode 10). Entre temps, Peter Morgan parviendrait presque à nous rendre Margaret Thatcher un tant soit peu sympathique, lorsqu’il est question de la disparition de son enfant lors du Paris-Dakar en 1982 (épisode 4)… Mais ce n’est que de courte durée.

Malgré l’empreinte que laissera Gillian Anderson sur cette quatrième saison, l’apogée de celle-ci demeurera bien évidemment la romance entre le Prince Charles et Diana Spencer, respectueusement incarnés par Josh O’Connor et Emma Corrin. L’acteur avait déjà su, lui aussi, s’imposer lors de la saison précédente, puisqu’il y était déjà grandement question de la place de son personnage au sein de la famille royale. Dans la trentaine, il faut maintenant le marier, et la grande réussite de The Crown est de nous montrer à quel point lui comme Diana se sont retrouvés prisonniers du système de la royauté, où tout n’est qu’apparence, faux-semblants, et ne se résume qu’à une seule chose : assurer la pérennité de la Couronne en lui fournissant des héritiers. Le temps de ses premiers épisodes, cette saison de The Crown tient même une tonalité “soapesque”, si bien qu’on aurait pu la renommer « Il faut marier le Prince Charles ». Au début du troisième épisode, intitulé “Conte de fées”, la Reine et sa famille s’appellent les uns les autres au téléphone : la Reine Mère, la soeur Margaret, la fille Anne sur son canapé avec ses deux chiens… Chacune attend le coup de fil de la monarque, et le compte-rendu des aventures sentimentales de son fils ! Plus loin dans l’épisode, Diana rencontre pour la première fois Camilla Parker Bowles dans un restaurant qui s’appelle… « Mariage à trois » ! Franchement, il y a des moments où l’on rit vraiment de bon coeur, alors que ce n’est pas ce à quoi l’on s’attend devant une série “sérieuse” comme The Crown.

Mais tel est le problème : sitôt arrivée, Diana devient d’ores et déjà trop envahissante. Elle prend le pas sur tous les autres, son naturel s’imposant comme un atout charme immédiat. Et Emma Corrin, qui campe le rôle avant de laisser la relève à Elizabeth Debicki pour la saison 5, marche déjà pleinement dans les pas d’Olivia Colman et Claire Foy. Elle campe le rôle de Diana avec un naturel saisissant, ne serait-ce que par sa ressemblance physique indéniable (et là encore, le travail de l’équipe de coiffure et des costumes y est pour beaucoup), mais aussi pour son talent, tout court. Elle irradie l’écran, littéralement, bien aidée par la mise en scène qui ne cesse de glorifier cette princesse sortie de nulle part, devenue l’icône de toute une génération… et éclipsant celui qui était pourtant amené à succéder au trône. Elle marche ainsi dans les pas des deux actrices ayant incarné la reine, sûrement promise à des nominations aux Golden Globes ou aux Emmy Awards, mais aussi en ce qui concerne son personnage lui-même, amené à suivre la même tournée qu’Elisabeth et Philip tout au long de l’Australie (épisode 6). C’est là que la scission opère, lorsque, le temps d’un bain de foule, tous les regards sont tournés vers la princesse, dont les gestes sont sublimés au ralenti, les gros plans nombreux, la convivialité soulignée, tandis qu’on ne voit du Prince Charles qu’un regard errant dans le vide, avant qu’il ne soit happé par la foule. C’est aussi là que la musique de Martin Phipps, compositeur attitré de la série depuis la saison 3 (après Harry Gregson-Williams et Lorne Balfe), réserve ses meilleures propositions, les choeurs se mêlant aux envolées des cordes et des cuivres. 

Diana éclipse Charles, comme elle l’éclipsera le jour de son anniversaire, alors qu’elle ne cherchait qu’à lui faire plaisir. Pour autant, la série ne prend pas parti et montre la souffrance de l’un et de l’autre : d’un côté les crises de boulimie de Diana et son rejet par la Reine, en qui elle recherche une figure maternelle, de l’autre, la jalousie de Charles et l’impossibilité de rejoindre celle qu’il aime. De leur mariage, on ne montrera d’ailleurs aucun moment de la cérémonie : rien que les préparatifs, et un plan de Diana de dos, sa longue et somptueuse robe de mariée s’étendant dans un couloir, et le prince Charles les yeux rivés vers la caméra, le visage résigné. Cette union, c’est un mal pour un bien. On retiendra aussi et surtout les nombreuses scènes d’ennui de Diana au sein de Buckingham Palace. C’est aussi là que le réel rencontre le mythe, lorsqu’elle se met à faire du roller au beau milieu des immenses couloirs du palais, devant les trônes, alors qu’elle est constamment écrasée, oppressée par toutes les leçons protocolaires qu’elle subit. En somme, elle apparaît comme une Madame Bovary des temps modernes, ou même une nouvelle Emma Stone de La Favorite, mais dont les tentatives de séduction envers Olivia Colman n’auront été que des échecs.


Emma Corrin éclipse tellement la famille royale que c’est sur elle que la saison se termine, en gros plan sur son visage. Jusqu’à nous faire oublier, en tant que spectateur, que c’était la dernière fois que nous voyions Olivia Colman, Tobias Menzies et Helena Bonham Carter avant un autre renouvellement du casting pour les deux dernières saisons. Oui, deux. Car si vous aviez oublié, Peter Morgan voulait finalement se limiter à cinq saisons, avant de revenir à son projet initial. Dans le rôle de la Reine Elisabeth, on trouvera celle qui incarnait la Thatcher du monde des Sorciers (ou Dolores Ombrage) : Imelda Staunton… À ses côtés, Jonathan Pryce incarnera le Prince Philip, tandis qu’Elizabeth Debicki et Dominic West reprendront les rôles d’Emma Corrin et Josh O’Connor. Lesley Manville, quant à elle, sera la Princesse Margaret. Il nous faudra cependant attendre un peu plus longtemps (deux ans) pour découvrir la cinquième saison, soit le même temps de pause qu’avait pris The Crown en passant de l’ère Foy à l’ère Colman. Comme il reste un petit virus qui traîne, autant qu’ils prennent leur temps, et vu la qualité constante de la série, on ne leur en tiendra pas rigueur. On sera juste assis là à attendre patiemment. Très patiemment. Trop patiemment.

Note : 4 sur 5.

Par Gabin Fontaine

J'adorerais me faire étrangler par Ezra Miller, mais il m'a plutôt dit bonjour en me faisant un câlin.

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