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Critique – Mages et Sorciers : les Contes d’Arcadia (Création de Guillermo del Toro, 2020)

Disponible sur Netflix depuis le 7 août dernier, Mages et Sorciers est le troisième et dernier (?) volet de la trilogie des « Contes d’Arcadia » imaginée par Guillermo del Toro, après le chef-d’oeuvre Chasseurs de Trolls (2016-2018) et la convaincante Le Trio Venu d’Ailleurs (2018-2019). Rappelons très brièvement que ce projet avait pour but de développer un univers entier au travers de trois séries interconnectées, Le Trio Venu d’Ailleurs se déroulant par exemple en même temps que Chasseurs de Trolls, mais du point de vue de personnages introduits le temps d’un épisode dans la première série. Jamais un programme destiné à un public familial n’avait eu une ambition narrative aussi élevée, osant dépasser le cadre étriqué des fonctions campbelliennes pour montrer tous les versants émotionnels de chacun des personnages, bons comme mauvais, d’une saison à l’autre voire d’une série à l’autre. À ce titre, le personnage de Walter Strickler, principal opposant au héros Jimmy Dulac pendant une bonne partie de Chasseurs de Troll, était un cas exemplaire de la finesse d’écriture propre à la série, qui avait à coeur de complexifier chacun de ses personnages sans jamais tomber dans l’incohérence de caractérisation. À noter également la surprenante tenue visuelle des deux premiers opus des Contes d’Arcadia, comparée à la qualité toute relative d’autres productions télévisuelles du studio Dreamworks comme Les Pingouins de Madagascar (2008-2015) ou même Dragons : Cavaliers de Beurk (2012-2018), sur laquelle était déjà investi Chad Hammes, l’un des producteurs exécutifs des trois séries imaginées par del Toro.

Mages et Sorciers est quant à elle la suite immédiate de Chasseurs de Trolls et du Trio Venu d’Ailleurs. [SPOILER] Jimmy Dulac et ses amis, avec l’aide précieuse de Merlin, ont sauvé Arcadia du terrible courroux de la « Pale Lady » Morgane et de son acolyte Gunmar. Comme le laissait entrevoir la deuxième saison du Trio Venu d’Ailleurs, [FIN DU SPOILER] le chasseur de troll doit désormais faire face à un nouvel ennemi, le « Green Knight », qui, selon Merlin, serait l’apprenti de son ancienne ennemie déchue. Ce dernier est membre de l’Ordre d’Arcane mené par les sorciers Bellroc et Skrael, qui ont comme dessein de libérer la magie noire dont Morgane était autrefois la représentante la plus puissante, et ainsi faire advenir un nouveau monde dont ils seraient les seuls maîtres. Au cours d’une bataille avec le « Green Knight », Jimmy, maintenant mi-humain mi-troll, est blessé par un éclat de cristal vert dont la pointe se rapproche petit à petit de son coeur. Avec l’aide de Douxie, son apprenti magicien depuis neuf siècles, Merlin emmène en catastrophe Jimmy à Camelot, désormais une forteresse volante cachée au milieu des nuages. Rapidement, le vaisseau ennemi de l’ordre d’Arcane attaque Camelot, ce qui pousse Douxie à emmener  en catastrophe Jimmy, Claire et Palchuck dans le passé, plus précisément dans le Camelot du XIIe siècle. Ce processus permet de ralentir l’aggravation de la blessure de Jimmy, ainsi qu’à nos héros de découvrir l’origine du conflit opposant trolls, humains, sorciers et magiciens.

Jimmy Dulac était le héros principal de Chasseurs de Troll, Aja et Krel Tarron ceux du Trio Venu d’Ailleurs, et c’est désormais au personnage de Hisirdoux alias « Douxie » qu’incombe ce statut. Déjà visible dans la première série, le personnage n’était alors qu’un simple étudiant gothique et charmeur, totalement déconnecté des préoccupations épiques de Jim, Claire et Toby. En nous montrant que Douxie est en fait un apprenti magicien, élève de Merlin depuis des siècles, le premier épisode de Mages et Sorciers nous révèle, comme les précédentes séries en avaient déjà l’habitude, un aspect insoupçonné d’un personnage déjà rencontré auparavant. Un peu maladroit, manquant parfois de confiance en lui, Douxie est une espèce d’ado éternel, frustré par les réprobations autoritaires de Merlin, son maître et père de substitution, dont l’esprit étonnamment rationnel s’oppose constamment à ses intuitions. Or, ce seront justement celles-ci qui feront du personnage le magicien qu’il a toujours voulu devenir. Comme tout les héros ou héroïnes de l’univers de Guillermo del Toro, il n’accomplira sa quête de soi qu’au travers de ses choix, guidés, encore une fois, par sa propre intuition. Celle-là même qui a convaincu Jesús Gris de renoncer à l’immortalité dans Cronos (1993), Carlos de partir à la rencontre du fantôme de Santi pour percer le secret de sa mort dans L’Echine du Diable (2001), Ofelia de ne pas sacrifier son petit frère contre la promesse de devenir princesse dans Le Labyrinthe de Pan (2006), Liz de sauver Hellboy contre l’humanité toute entière à la fin de Hellboy 2 (2008), ou bien encore Elisa de sauver la créature qu’elle aime dans La Forme de l’eau (2017). Toute oeuvre dans laquelle Guillermo del Toro met son nez nous raconte finalement la même chose : nos choix déterminent notre destin, et définissent la personne que nous souhaitons devenir.

Un lecteur du Grand Oculaire…

Dans Mages et Sorciers, le choix est également le moteur de la réinvention dramaturgique de tous les personnages apparus dans les précédentes séries, notamment celui de Morgane. Pure altérité maléfique dans Chasseurs de Trolls, la voilà représentée sous des traits beaucoup plus doux, délestée de son armure dorée et de son envie de détruire le monde des hommes. Même Gunmar, brute haineuse et avide de violence, se voit représenté le temps d’un séquence sous un jour positif, rattrapant in extremis le corps mourant de Jim, chassé par les hommes du roi Arthur. Mages et Sorciers nous montre ainsi comment tous ces personnages, avec qui nous avons aimé passé du temps (soit 78 épisodes d’une bonne vingtaine de minutes chacun), en sont arrivé là où ils sont lorsque nous les avons découverts pour la première fois. Encore mieux, ce troisième opus des contes d’Arcadia nous montre aussi comment ces personnages ont rétrospectivement le choix de changer leur destin.

L’opposition entre la raison et l’intuition

L’autre grande force de la série est qu’elle nous fait comprendre que les apparences sont souvent trompeuses, et que chaque personnage possède finalement une part d’humanité qu’il peut raviver, d’une façon ou d’une autre. Le roi Arthur, meurtri par la perte de Guenièvre, est un magnifique exemple de personnage tourmenté face à la dualité de ses propres choix. Dans tous les cas, il perdra quelque chose, que ce soit sa propre humanité, ou bien le peu de proches qui lui restent. Tragique et shakespearien, ce personnage est sans aucun doute l’un des plus beaux de la série, d’autant plus que sa fragilité dénote avec l’image triomphante que l’inconscient collectif pourrait avoir du roi Arthur. Cette subversion constante des apparences se retrouve aussi bien dans le fond que dans la forme, l’équipe créative ayant là encore abouti à quelques trouvailles fabuleuses, comme cette impressionnante scène d’attaque de Camelot par le vaisseau-tête de mort de l’Ordre d’Arcane, qui se transforme rapidement en une scène de bataille navale. Pensons également à cette simili Dame du Lac, douce et séduisante, qui s’avère être l’antenne lumineuse d’un gigantesque kraken. Plus globalement, la série voit sa qualité d’animation renforcée par rapport à ses deux précédents volets, notamment au niveau des textures de peau (même si celle des humains reste encore trop lisse). Notons par exemple la finesse d’animation de Deya the Deliverer, la première chasseuse de troll de l’histoire qui, d’un coup d’un seul, bouge ses énormes jambes avec une souplesse digne d’une danseuse étoile. 

L’Ordre d’Arcane, ça rigole pas !

Tout, dans cette série, respire le soin, l’exigence, l’intelligence, et surtout, l’amour des créateurs et des créatrices pour leurs personnages. Mages et Sorciers porte bien son nom, car au fond, elle une série éminemment magique. Au travers de ses personnages, elle nous apprend que la quête de soi, qui passe nécessairement par une série de morts et de renaissances symboliques, est la clé pour devenir maître de son propre destin, et agir ainsi sur le monde en harmonie avec les forces qui l’animent. Au fond, le personnage de Merlin avait déjà tout dit dès l’épisode 1 : « la magie est la maîtrise de la vie. Donc pour apprendre la magie, tu dois d’abord apprendre à vivre ». Du bel ouvrage, épique, sensible et magique : en somme, une oeuvre de Guillermo del Toro.

Sortie sur Netflix le 7 août 2020, créée par Guillermo del Toro, avec les voix de Colin O’Donoghue, Lexi Medrano, David Bradley et Emil Hirsch.

Note : 4 sur 5.

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