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Critique – The Craft : Les Nouvelles Sorcières (Zoe Lister-Jones, 2020)

Près de 24 ans après son premier opus, The Craft : Les Nouvelles Sorcières débarque en fanfare dans nos salles en VOD pour le plus grand plaisir de… de…. Mais de qui en fait ? S’il n’est pas un chef-d’œuvre des années 90, loin de là même, le film d’origine de Andrew Fleming, plus connu sous son nom français Dangeureuse Alliance (1996), a su avec le temps se développer une petite « fan-base » dévouée ayant grandi avec cette histoire de quatre jeunes femmes lycéennes le jour, mais sorcières la nuit.

Il n’en faudra pas plus à Jason Blum, inarrêtable producteur-roi du mastodonte Blumhouse, pour caresser l’idée de remettre cette histoire au goût du jour, avec une toute nouvelle génération de sorcières. C’est à l’actrice Zoe Lister-Jones, qui avait déjà passé le cap de la réalisation avec Band Aid (2017), que revient la tâche pas si lourde que ça de créer une continuité à un film n’appelant pas forcément à une suite, mais dont l’héritage culturel est propice à de nombreuses pistes exploitables. Sauf que la réalisatrice a décidé de foncer vers la pire de toutes.

Comme annoncé, le film nous fait donc découvrir un tout nouveau trio de lycéennes/sorcières à leurs heures perdues, également à la recherche de leur semblable, qui leur permettrait ainsi de débloquer tous leurs pouvoirs. Une semblable qui sera trouvée en la personne de Lily, nouvelle arrivante au sein du lycée, et qui semble développer les mêmes pouvoirs qu’elles. Sauf que d’emblée, quelque chose cloche avec le futur quatuor qui nous est présenté ici. Que Zoe Lister-Jones décide de représenter une nouvelle génération de sorcières est logique, mais par leur caractérisation, elle en oublie totalement ce qui faisait la force du quatuor d’origine.

Si en 1996, les quatre filles étaient des « outcasts » solitaires ayant chacun un trauma qui leur est propre, s’alliant pour affronter l’épreuve du lycée, nos quatre filles de 2020 sont des figures lambda et vides, sans aucun récit personnel ni collectif. Deux d’entre elles se présentent pourtant comme des figures en apparence opprimées, l’une est noire et l’autre transgenre, mais cet élément n’est à aucun moment traité dans le film, alors même que le premier volet, déjà à son époque, parlait du racisme chez les classes bourgeoises blanches. De ce fait, et alors que la magie symbolisait une force d’émancipation pour les adolescentes du film de Fleming, elle devient ici un prétexte, nos nouveaux personnages semblant être plus attirés par une envie de percer sur Instagram avec le « #wicca » après avoir vu un tuto-magie de Sylvain Mirouf sur Youtube.

Rien de leur découverte de cet univers occulte ne nous est jamais montré, tout comme le folklore qui l’entoure ou encore les raisons de leur réceptivité à cette magie. Soit un élément de contextualisation essentiel, qui ne nous est explicité que pour un seul des personnages, victime d’un fan-service désolant qui annihile totalement le propos du film originel. Car la priorité de Zoe Lister-Jones dans cette suite n’est plus de montrer des femmes usant de la magie pour affronter un monde trop plat et sans folies, mais plutôt de montrer des Instagrameuses voulant combattre le patriarcat et la masculinité toxique. Et si ces thématiques, traitées dans un univers occulte, peuvent faire leurs preuves, encore aurait-il fallu que le film s’échappe du simple « guide de bonne conduite », qui nous est rabâché à longueur de dialogues, tous plus « too much » les uns que les autres, rendant le film prévisible à des kilomètres et surtout inoffensif.

Le plus ironique étant que dans sa volonté de s’adresser à un public plus « moderne », il en oublie l’élément-clé qui rendait le premier film attachant, et qui aurait eu totalement sa place ici : la sororité qui unit nos quatre sorcières en herbe. Toutes leurs interactions sont programmatiques, aucune évolution amicale, voire amoureuse, ne se crée entre elles, et l’écriture porte un terrible souci de caractérisation en son sein. Chaque personnage semble ainsi ne revêtir que des idées, mais sans jamais qu’elles ne prennent vraiment corps. Pire encore, elles finissent par entrer en totale contradiction avec ce que l’intrigue du film nous présente, notamment un triangle amoureux hétéro-normé comme jamais.

En cherchant à trop mêler horreur et politique, sans jamais assumer jusqu’au bout ses idées, l’inverse même de ce qu’un film comme Assassination Nation (2018) avait su faire par exemple, Zoe Lister-Jones oublie totalement le reste, et en particulier sa mise en scène, d’une laideur assez saisissante. Si le premier film a comme réputation de préfigurer ce qu’allait devenir l’esthétique des séries de la CW de cette époque (Charmed en tête, avec son look gothique délicieusement kitsch), il avait le mérite de proposer une vraie atmosphère sombre, en opposition avec la chaleur du Los Angeles où se déroulait l’action. Mais pour The Craft : Les Nouvelles Sorcières, on se rapproche nettement plus de la série pour adolescents Netflix aux couleurs entièrement délavées, qui fait que l’image ne raconte rien et ne fait qu’illustrer un scénario qui n’a lui non plus rien à raconter. Un serpent qui se mord la queue dans un océan de vacuité, tant le film n’a rien à offrir et manque d’ambition dans le moindre de ses aspects.

Et on ne peut pas dire que son casting rattrape le script d’une manière ou d’une autre, puisqu’entre une Michelle Monaghan qui semble être venue passer une tête entre deux Mission : Impossible et un David Duchovny en plein « bad trip », ce n’est pas la joie de vivre qui transparaît de l’ensemble des personnages. Ce dernier récolte même pour sa pomme le pompon des effets spéciaux ratés, pour un contexte que nous nous gardons de vous dévoiler, mais qui risque de hanter votre esprit de manière encore plus efficace que le spectre de Nancy Drows dans le premier film. Sauf qu’à l’inverse de celle-ci, qui arrivait à dissimuler ses grosses lacunes de jeu derrière une montagne d’ « overacting » qui le rendait attachant, tout est ici trop premier degré et par extension ridicule, de sa dramaturgie jusqu’à son sous-texte.

Inutile donc de dire que The Craft : Les Nouvelles Sorcières est un bien beau plantage, totalement à côté de ses pompes du début jusqu’à la fin. Par sa volonté de transformer son sujet de base en une diatribe d’« empowerment », le film efface tout ce qui rendait le premier attachant, et n’en garde que quelques scènes, ne faisant que nous questionner sur sa posture de suite ou de reboot. Le cinéma d’horreur est politique, c’est une évidence et cela doit le rester. Mais The Craft : Les Nouvelles Sorcières, dans sa volonté de vouloir trop en faire, en a oublié le principal : raconter quelque chose.

Sorti le 28 octobre 2020, réalisé par Zoe Lister-Jones, avec Cailee Spaeny, David Duchovny, Michelle Monaghan.

Note : 1 sur 5.

Par Tanguy Renault

Mon mantra : Si le film ne s'appelle pas "Grave", c'est automatiquement moins bien.

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