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Edito Uno : se souvenir de ce que nous sommes

On ne va pas vous mentir, justifier l’ouverture d’un site de critique et d’analyse de la pop culture au début d’un nouveau confinement n’est pas l’exercice le plus facile. Et pourtant, j’y vois presque une évidence. 

Afin d’expliciter ma pensée, j’aimerais tout d’abord vous raconter une histoire. Celle d’un prince, venant du « monde d’en haut », envoyé par son père en terre étrangère afin de retrouver une perle détenue par un terrifiant dragon. S’il surmonte cette épreuve, le prince deviendra l’héritier légitime du royaume de son père. Le problème, c’est que durant son voyage, nombre de péripéties et d’arrêts plus ou moins volontaires ont raison de sa mémoire : il ne se souvient plus de qui il est, d’où il vient, ni de ce qu’il doit chercher. Le pauvre ignorant ère ainsi pendant des décennies, sans but ni véritable raison de vivre, jusqu’à qu’un oiseau lui apporte un message de ses parents, lui rappelant qui il est. Le prince repart ainsi en quête de la perle, et finit par la retrouver, apportant paix et prospérité à son royaume.

Cette histoire, communément appelée « Chant de la perle » (IIIe siècle), nous explique qu’au fond, chacun d’entre nous garde la mémoire originelle, ancestrale, primitive même, ce que nous sommes vraiment, et de ce qui donne fondamentalement sens à notre existence. Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi ce conte en particulier, qui connaît une multitude d’équivalences dans les cultures du monde entier, traversant les siècles, sous des formes nouvelles, pour rafraichir notre vision du monde. Pensons par exemple au roman de 1977 Substance Mort, écrit par Philip K. Dick (adapté au cinéma en 2006 par Richard Linklater), qui avec son histoire de flic infiltré ne se souvenant plus de sa double identité, suit peu ou prou le même cheminement narratif que le conte précité. Ces deux oeuvres (un conte gnostique du IIIe siècle et un roman de science-fiction des années 70) racontent la même histoire, et au fond, cette concordance résume assez bien la vision de la « pop culture » défendue par Le Grand Oculaire.

Contrairement aux cultures dites « institutionnelles » ou « académiques », contre-intuitives à souhait et fondamentalement hostiles à l’enthousiasme, la « pop culture » est, selon nous, celle que nous connaissons le plus intimement, ravivant ce rapport innocent au monde que nous avons pu avoir dans notre enfance, et que nous avons aujourd’hui plus ou moins perdu. Ces oeuvres sont de celles qui nous font sentir plus grands ou plus grandes que nous-mêmes, nous liant tous et toutes dans une seule et même « Grande Histoire de l’Humanité », que les hiérarchies et les présupposés veulent constamment nous faire oublier. La culture pop est là pour nous remémorer cette Grande Histoire, au détour d’un conte, d’une chanson, d’un film, d’une bande dessinée ou d’une série. Merveilleusement chimérique, fondamentalement anarchique, cette culture renaît à chaque époque, et rejoue, sous une forme ou sous une autre, la grande perturbation carnavalesque des institutions de pouvoir. Avoir foi dans la pop culture, c’est d’une certaine façon faire acte de résistance. 

À l’heure où l’on tend à confondre « art populaire » et « art de masse », où la sacralité absolue de la culture pop est méprisée par des institutions avides de profit, et où l’absurdité de la réalité nous pousse à mettre nos vies entre parenthèses pour le bien de tous et toutes, Le Grand Oculaire est là pour rappeler que cette culture est un événement permanent, un rituel ancestral hérité de traditions, de mythes et de spiritualités méprisés à travers les âges, et qui pourtant sont restés là, en chacun et chacune de nous. Ses rédacteurs et rédactrices sont ses émissaires passionné.e.s, reprenant le flambeau laissé par des revues comme Métal Hurlant, Starfix ou le Mad Movies du début des années 2000, afin d’« encourager l’imaginaire », de « dépasser le cadre étriqué du quotidien », et de révéler à notre futur lectorat les traces de ce « frisson des origines » que nous cherchons à revivre constamment.

Ce souci de mémoire est la continuation d’un combat, que peut-être certains ou certaines d’entre nous perçoivent comme déjà gagné. Il n’en est rien. Les institutions de pouvoir, depuis toujours mais encore plus depuis une vingtaine d’année, utilisent la culture populaire comme un cheval de Troie, afin de consacrer cette vision du monde estimant les individus comme une masse de spectateurs bovins totalement anesthésiés, autrefois animés par cette flamme qu’ils ou elles ne cessent de vouloir éteindre aujourd’hui, souvent de façon inconsciente. Le Grand Oculaire croit quant à lui à cet axiome du magicien et occultiste Aleister Crowley : « chaque homme et chaque femme est une étoile ». Chacun et chacune a les moyens de se rappeler de ce qui l’anime vraiment, et de faire le tri entre les oeuvres sacrées et le contenu stérile. Tout le monde peut voir au-delà des apparences ; tout le monde peut être un Grand Oculaire.

2 réponses sur « Edito Uno : se souvenir de ce que nous sommes »

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