A chaque sortie d’un film de genre français atypique comme La Nuée, la même rengaine se répète : Quelques semaines ou mois d’exaltation, clamant que ce film est celui qui va enfin faire bouger les choses dans l’industrie, pour finalement voir cette euphorie crever comme un ballon à peine 6 mois plus tard. Sauf que La Nuée n’est pas un film de genre comme les autres, puisqu’il doit également servir d’éclaireur pour le distributeur The Jokers sur une potentielle « résurrection » digne des French Frayeurs au début des années 2000 (la qualité en plus rassurez-vous).
Sélectionné à la Semaine de la Critique 2020 et réalisé par un jeune réalisateur déjà accompagné d’une belle aura avec ses courts-métrages, il faut bien avouer que La Nuée sait se montrer charmant sur le papier. Surtout quand on sait de surcroît qu’il est également le premier film a être issu de la fameuse commission d’aide au cinéma de genre créée il y a deux ans par le CNC. Et son pitch conserve cette posture à la fois intrigante et malgré tout attrayante, tant il s’éloigne de ce que l’on a pu voir dans le cinéma francophone horrifique depuis belle lurette.
Cette fois, point de zombies ou encore de cannibales à l’horizon puisqu’il est ici question d’un élevage de sauterelles que notre personnage principal, une mère de famille célibataire, tente d’apprivoiser dans sa maison reculée en compagnie de ses enfants. Sauf que comme vous vous en doutez, l’élevage va bien vite dégénérer de la manière la plus glauque qui soit, détruisant toute cette petite cellule familiale au passage.
Un film d’horreur agricole, vous dites ? Et bien oui et c’est même tout ce qui fait la singularité du film de Just Philippot. Par son cadre typiquement français, le scénario de Jérôme Genevray et de Frank Victor prend le défi de s’immiscer dans un registre encore à ses balbutiements et jusqu’ici réservé au drame ou à l’extrême limite au thriller, Petit Paysan (2017) en tête. Ce dernier semble d’ailleurs avoir beaucoup influencé l’atmosphère mortifère et désespérée qui entoure La Nuée.
Mais là où La Nuée tire son épingle du jeu, et ce que l’on aurait pu redouter au vu des premiers aperçus, c’est qu’il ne se contente pas de n’être qu’un film dramatique vaguement fantastique mais au pay-off (trop) minimaliste et frustrant. Au contraire, si sa première partie reste assez sage mais joue déjà avec l’aspect corporel et sensoriel qui nous lie aux insectes, sa seconde partie lâche nettement plus les chevaux et arrive, malgré son maigre budget, à proposer des instants choquants qui n’usurpent pas leur interdiction aux moins de 12 ans.
Un mélange entre drame social qui ne dit pas son nom et série B à base d’insectes tueurs qui réussit grâce à la mise en scène virtuose de Just Philippot, qui utilise son format Scope pour renforcer le descente aux enfers de cette famille isolée de (presque) tout. Les cadres sont d’une beauté assez phénoménale, sans pour autant tomber dans le piège d’une sur-esthétisation qui aurait pu passer comme hors-sujet au vu de l’aspect terre à terre et crasseux voulu par le scénario.
De manière presque documentaire, la tension visuelle qu’entretient le réalisateur avec ses sauterelles sauvages fascine et dégoûte, grâce à un choix judicieux de la longue focale nous offrant des plans rapprochés d’une précision chirurgicale. Une précision qui se marie à une vraie recherche de cadre, notamment lorsque celui-ci se remplit de manière de plus en plus oppressante à mesure que le film progresse, à l’instar de ces silos grouillant d’insectes, s’accumulant dans le jardin de nos personnages tel un virus. Des compositions à l’impact visuel marquant qui doivent leur réussite à une envie communicative de Just Philippot à créer de vrais instants d’horreur pure, comme cette poursuite finale au suspense maîtrisé, notamment aidé par des effets visuels au réalisme confondant lors des nombreux gros plans sur ces vilaines bestioles.

Mais au-delà de sa précision visuelle, La Nuée est un film qui cherche à convoquer tous nos sens de manière très insidieuse, ce qui joue bien entendu par le son. Si l’on atteint pas une vivacité sonore à la Cattet/Forzani, notre ouïe s’en retrouve sollicitée en permanence et ce, de manière de plus en plus assourdissante. De ce fait, le remplissage du cadre se complète d’autant plus avec ce paysage sonore de plus en plus parasité par les bruits stridents et discontinus des sauterelles, finissant par générer comme une boucle sonore incessante.
Un mélange de procédés qui peut d’ailleurs rappeler les expérimentations sensorielles de notre cher Ari Aster, réalisateur de Midsommar (2019) ainsi que de Hérédité (2018), dont l’ombre plane à petites touches sur le film sans pour autant tomber dans du simple rempompage « made in France ». La métaphore familiale par le prisme de l’horreur est ainsi omniprésente dans La Nuée, et tout particulièrement la question du divorce et du défi d’avancer en tant que mère célibataire, tout en ayant à sa charge deux enfants eux aussi en pleine évolution et avec leurs propres aspirations.
La question du devenir familial entoure alors l’ensemble du film et prend ainsi forme par le biais de cette troupe d’insectes de plus en plus incontrôlable, comme une métaphore de cette destruction imminente mais dissimulée par ces charges mentales multiples et dont il est difficile d’échapper. Dans ce rôle multiple, Suliane Brahim s’en sort merveilleusement bien, dans un registre pas si éloigné de films comme Mister Babadook (2014) ou Hérédité, et apporte un juste milieu entre rage et désespoir, permettant de rendre le personnage attachant malgré les exactions qui vont marquer son récit. Un premier rôle fort qui domine sans hésiter l’ensemble du casting, toutefois excellent lui aussi, offrant au film toute la dimension dramatique dont il avait besoin pour en dégager sa force.
S’il est un film de genre, c’est indubitable, La Nuée a également su puiser le meilleur du cinéma français de la seconde moitié des années 2010. On pense évidemment à Grave (2017) dans son mélange entre drame et horreur mais La Nuée parvient aisément à se démarquer de cet héritage presque pleinement revendiqué et réussit à esquiver ses pièges. Il n’est pas un film cherchant à réadapter en français des concepts vus ailleurs ou bien à draguer un peu facilement le territoire international (quand bien même il vient tout juste d’être racheté par Netflix pour l’étranger). Il est avant tout un film qui, par le biais d’inspirations plus ou moins lointaines, essaye de se créer une identité propre et y parvient avec brio.
Si l’on peut lui reprocher quelques petites minutes de trop au compteur, un défaut masqué par son rythme néanmoins soutenu et d’autres fortes qualités, la proposition de Just Philippot, Jérôme Genevray et Frank Victor se doit de montrer l’exemple pour la prochaine génération qui ne devrait plus tarder, The Jokers ayant encore à lui tout seul trois films de genre français dans sa besace.
Alors peut-être qu’à nouveau, la tendance ne sera qu’éphémère et repartira aussi vite qu’elle est arrivée mais avec des singularités comme celle-ci, le doute peut être permis, si tant est que le public suive, une fois encore.
Réalisé par Just Philippot, avec Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne.
