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Critique – Adieu les Cons (Albert Dupontel, 2020)

Adieu les Cons. Voilà un titre qui a le mérite d’être clair pour un réalisateur qui, un film plus tôt, disait déjà « Au Revoir Là-Haut » (2017). Mais plutôt que d’échapper au futur comme il lui est de coutume, cette fois, le ton change et se semble se transformer en une sorte d’acceptation de ne plus pouvoir en faire partie. Autant dire que pour le septième film d’Albert Dupontel, auteur proprement unique dans le paysage français et sur lequel nous avons consacré un large dossier, c’est une affirmation bien nihiliste pour quelqu’un qui pourtant, au cours de toute sa filmographie, nous aura appris à aimer la vie, si tant est que l’on échappe à ses pièges.

Mais ici, la base même du scénario marque une fois encore comme un nouveau tournant dans l’évolution narrative qui traverse l’ensemble de l’œuvre de Dupontel. Si 9 Mois Ferme (2013) et Au Revoir Là-Haut nous montraient en personnages principaux un binôme radicalement opposé mais décidant de se rebeller ensemble contre tout un système, ici nous suivons un trio, entièrement composé de personnes lambda, rejetons de la classe moyenne justement mis à mal par le système dans lesquels ils évoluent, et qui les conduit peu à peu vers une mort certaine, sans vraiment pouvoir s’en relever.

Ces trois protagonistes sont aussi banals qu’ils gagnent en marginalité à force de s’enfoncer dans une situation qui les dépasse. Tout d’abord, Suze, interprétée par Virginie Efira : une coiffeuse atteinte d’un cancer incurable qui se donne comme objectif de retrouver son enfant, dont elle a accouché puis abandonné sous X lorsqu’elle était encore adolescente. Ensuite, JB, joué par Albert Dupontel : un génie de l’informatique forcé de quitter son travail pour faire place à la jeunesse et qui, n’ayant aucune femme ni enfant, ne voit pas d’autre solution d’échappatoire que le suicide. Enfin, Mr. Blin, joué par le génial Nicolas Marié : un ex-électricien désormais aveugle suite à une bavure policière qui va le traumatiser, et qui va accompagner un peu malgré lui ces deux autres âmes en fuite, également malgré eux. On ne vous avait pas menti, la joie de vivre n’est pas ce qui ressort en premier lieu de Adieu les Cons. 

Malgré tout, dans ce nihilisme, on sent toutefois que Albert Dupontel prend la décision de transformer sa dramaturgie et cherche à y apporter une nouvelle piste. Là où le réalisateur/acteur avait toujours le rôle du « fauteur de troubles » dans ses deux précédents films, voire dans l’ensemble de sa carrière, c’est cette fois-ci lui qui est embarqué de force dans cette course contre la mort, lui qui voulait au départ mourir en paix (le tout grâce à une arme achetée auprès de Terry Gilliam, tout un symbole). Peut-être pouvons-nous y voir justement un moyen détourné du réalisateur pour émettre que par delà la résignation de son personnage (et sûrement de son auteur), il reste néanmoins des actants hauts en couleur, aussi condamnés mais qui font preuve de suffisamment d’espoir et d’humanisme pour, à défaut de pouvoir survivre, au moins pouvoir aider les générations qui vont suivre. 

Face à une France actuelle où la course capitaliste n’aura jamais été aussi déraisonnée, où la connectivité fait désormais partie intégrante de nos interactions sociales et où la reconstruction urbaine ne sert qu’une uniformisation commerciale (fabuleuse scène en ville entre Nicolas Marié et Virginie Efira), Adieu Les Cons semble vouloir y apporter une réponse aussi noire et vaine que paradoxalement remplie d’espoir. Le personnage de Suze sait qu’il ne lui reste que quelques jours à peine et veut les utiliser non pas en préservant sa propre vie, mais plutôt en essayant de sauver celle de l’enfant qu’elle n’a jamais pu connaître.

Une recherche alambiquée et presque impossible, fort heureusement aidée par les compétences informatiques de JB ainsi que de son ordinateur/deus-ex machina mobile. Recherche qui va toutefois se heurter au piège qui attend ces nouvelles générations face à notre monde moderne, recouvert de chiffres et non plus de lettres. Sans jamais céder à un propos que l’on pourrait qualifier de « boomer », Albert Dupontel y apporte une réponse qui peut paraître simple mais finalement difficile dans l’époque que nous vivons : oser. Oser de démarquer des masses, oser fuir le chemin tout tracé qui s’offre à nous, oser refuser l’aliénation qui nous attend depuis le plus jeune âge, oser aimer, oser avouer son amour, oser le saisir.

Et c’est tout le message dégagé par cette fameuse scène d’ascenseur, au propos que l’on peut légitimement considérer comme très bancal, mais qui tient surtout à s’adresser à une génération frustrée et effrayée d’avouer ses sentiments, se complaisant plutôt dans des attitudes problématiques. A l’inverse, par l’amour qui émane de la fin de cette scène, on peut y entrevoir la fin imminente d’un rouage trop ancré dans le cerveau des deux personnages à l’écran, pouvant les amener à une libération de l’ordre capitaliste qui les maintenait jusqu’alors prisonniers, présageant éventuellement son effondrement plus global.

Car même plus de 20 ans plus tard, Albert Dupontel n’a rien perdu de son esprit punk. Au contraire, même s’il est évidemment plus posé, il se montre toutefois plus vicieux et incisif, se permettant de tacler sans relâche les instances politiques et culturelles qui louent pourtant ses œuvres. De la bureaucratie en passant par la police qui en prend énormément pour son grade, le regard que le réalisateur apporte sur tout ce bloc qu’est notre société fait mal au cœur et c’est justement ce qui va le motiver à redoubler d’effort dans cette énergie salvatrice, qu’il avait un peu laissée de côté dans son précédent long-métrage moins à propos. Ainsi, même un morceau de ska/punk comme « Mala Vida » de Mano Negra devient le symbole nostalgique d’une époque perdue, d’une adolescence plus pure loin des problèmes ou des malheurs, faisant de la quête désespérée de Virginie Efira une envie de rattraper une jeunesse qui lui aura été volée.

Virginie Efira qui, à l’instar de l’ensemble du casting, se révèle être une tendresse phénoménale, tellement tous ses plans rapprochés transpirent de sincérité et d’émotion. Albert Dupontel semble d’ailleurs tenir, plus généralement, à offrir ici des rôles puissants à bon nombre de ses comparses de longue date, tout particulièrement Nicolas Marié, qui hérite sûrement de son plus beau rôle de toute la filmographie du réalisateur. Même constat pour Jackie Berroyer, déjà petit rôle marquant de Enfermés Dehors, dont la bonhomie et la tristesse qui émanent de son regard lors de ses quelques scènes prend une ampleur démesurée dans nos esprits.

En cela oui, Adieu Les Cons, idéale continuité thématique de 9 Mois Ferme alliée à la furie visuelle de Au Revoir Là-Haut, est sûrement le film le plus triste de l’ensemble de la carrière de Albert Dupontel. Sauf que par-delà les larmes de tristesse, on y trouve aussi des larmes de joie et d’espoir vers un monde meilleur, à l’instar de cette transition lente et brutale entre le déchirant plan final du film et son générique de fin, donnant un ressenti doux-amer face à tout ce que l’on vient de vivre.

Albert Dupontel, en maintenant une véritable cohérence cinématographique, comme nous l’avons vu une fois encore dans notre dossier, atteint une nouvelle fois son apogée avec ce nouveau film. On pourrait prendre le film comme un terrible testament face à un monde qu’il ne reconnaît plus et dans lequel il estime ne plus avoir sa place et en quelque sorte, il l’est peut-être un peu (il est d’ailleurs dédié à son maître à penser et ami Terry Jones, décédé en début d’année). Mais dans le même temps, en mettant en lumière des comédiens ou comédiennes plus jeunes mais au talent tout aussi énorme (du premier rôle jusqu’aux cameos), Albert Dupontel tient aussi à nous dire que même dans le pire des instants, même lorsque notre heure est venue, l’espoir, lui, reste toujours là. Adieu les cons.

Sorti le 21 octobre 2020, réalisé par Albert Dupontel, avec Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié.

Note : 4 sur 5.

Par Tanguy Renault

Mon mantra : Si le film ne s'appelle pas "Grave", c'est automatiquement moins bien.

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